Catégorie : Imprimerie
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Nous sommes vers 1830, à une période importante pour l'Empire ottoman. Reinaud présente les productions des premières imprimeries turques : grammaires de l'arabe et du persan, ouvrages religieux ou de droit occupent une grande place ; les ouvrages de géographie sont rares, c'est l'histoire qui occupe la plus grande place.

Les traités médicaux et techniques manquent un peu, mais Selim III a essayé de relancer leur diffusion, espérant ainsi moderniser son empire. L'auteur insiste également sur la tolérance religieuse qui caractérise toutes ces publications.

extrait du "Bulletin des sciences historiques, antiquités, philologie", Tome XVII, novembre 1831

Il existe à, Constantinople une imprimerie arabe, persane et turque,  fondée il y a un peu plus d'un siècle, et qui,  malgré d'assez longues interruptions, a publié environ cent ouvrages.
Ces ouvrages ont été répandus en plus ou moins grand nombre dans diverses parties de l'empire ottoman,  et ont récemment produit un changement dans l'état moral et littéraire du pays. Mais parmi les écrivains qui ont jusqu'ici cherché à peindre l'esprit des habitants de ce vaste empire, les uns ont méconnu cet effet de la presse, les autres s'en sont exagéré l'importance; il importe donc de fixer dès à  présent,  les résultats produits par la presse turque, et ce qu'elle a laissé à désirer. Avec l'établissement d'une gazette politique dans l'empire (le Moniteur Ottoman, qui paraît une fois par semaine en français et en turc, et qui doit être reproduit à la fois en grec et en arménien) , une nouvelle ère s'ouvre pour les ottomans. Avant dix ans, l'aspect moral, politique et littéraire du pays, aura subi des modifications plus ou moins considérables. Hâtons-nous de constater l'état des choses qui a précédé cette espèce de révolution.
Dès le 16e siècle il s'établit à Constantinople ainsi qu'à Thessalonique, une imprimerie hébraïque à l'usage des juifs,  et cette imprimerie mit au jour certaines portions de la Bible et du Talmud et autres livres juifs. Les Grecs et les Arméniens dans  le siècle suivant, fondèrent aussi, chacun de leur côté, une imprimerie qui devait reproduire les ouvrages de leur culte religieux et de leur littérature. Il se forma même à Alep et sur les pics du mont Liban, des imprimeries syriaques et arabes à l'usage des chrétiens melchites et maronites de ces intéressantes contrées.

La première imprimerie turque
Le gouvernement contemplait d'un oeil indifférent les résultats produits par une institution si nouvelle ; et, fidèle à sa politique, il se contentait de veiller à et que les juifs ne publiassent aucun écrit qui tendît à saper la religion de l'état.
Enfin, quelques personnes puissantes eurent l'idée de doter la nation d'un établissement qui avait produit dans l'Europe chrétienne de si grands résultats. Le fils de Mehemet Effendi, qui avait accompagné son père en France lors de l'ambassade de ce dernier auprès du régent, et qui avait été témoin des miracles enfantés par la civilisation, s'associa avec un  renégat hongrois, appelé Ibrahim, homme à la fois instruit dans les sciences  d'Europe et d'une infatigable activité. On grava des poinçons, on fondit des caractères ; des ouvriers compositeurs furent promptement formés, et un ouvr age en deux volumes in-folio fût livré au public en 1728. Voici le tableau sommaire des livres qui, ont successivement vu le jour.
Nous les avons classés par ordre de matières, et nous ne citons  que les principaux. Pour les personnes qui voudront en avoir un liste presque complète et par ordre chronologique elles pourront recourir au 7e vol. de l'Histoire de l'empire ottoman, par M. de Hammer.
Plus de vingt de ces ouvrages sont consacrés à la grammaire ou consistent en dictionnaires, et la plupart se rapportent à la langue arabe ; quelques autres ont pour objet la langue persane, le reste appartient au tort. L'arabe étant le langage que parlait Mahomet, à servi à propager le Koran et toutes les sentences sorties de la bouche du prophète et comme le Koran et les sentences de Mahomet constituent encore aujourd'hui pour les Musulmans la base du droit droit canonique, civil et politique, que d'ailleurs c'est en arabe qu'ont été écrits tous les traités fondamentaux de dogme, de morale et de jurisprudence, il en résulte que la connaissance de la langue arabe est d'une absolue nécessité pour tous les ministres de la religion et de la loi. Aussi nul  d'entre eux n'est admis à l'exercice de ces fonctions qu'après avoir subi un examen à ce sujet ; et pourtant la langue arabe est si riche, son système grammatical est tellement compliqué, qu'elle exige une étude de plusieurs années. Le persan, sans être d'une indispensable nécessité, est cultivé par tous les Turcs de distinction particulièrement par ceux qui ont du goût pour la poésie. Ce sont d'ailleurs les mêmes caractères qui, à quelques modifications près, servent à exprimer l'arabe, le persan et le turc.       

Livres sur l'arabe
Les ouvrages destinés à initier les Turcs à la connaissance de la langue arabe, sont en général les mêmes qu'on emploie chez nous depuis l'établissement des études orientales dans l'Europe chrétienne. En fait de dictionnaires, on peut citer les deux lexiques arabes de Geuheri et de Firouzabadi , l'un intitulé "Sibah-Allogat", ou "Pureté du Langage", par allusion à l'extrême importance que l'auteur avait mise à n'accueillir que les termes d'une incontestable origine, et formant deux vol. in-folio; l'autre portant le titre de Camous ou d'Océan, comme si l'océan seul, par son immensité, idée ne pouvait donner une juste idée de la richesse de la langue des Arabes ; celui-ci se compose de trois volumes. En naturalisant ces deux lexiques dans les régions turques, les éditeurs se sont contentés d'accompagner chaque mot arabe de son explication en turc, à peu près comme Golius et Giggeius accompagnèrent ces mêmes mots d'une explication latine, quand ils essayèrent de mettre les deux lexiques à la portée des savants de l'Occident. Le principal dictionnaire persan-turc est celui qu'on cite sous le titre de Ferhenk-Schooury, et se divise en deux volumes. L'auteur offre à l'appui de chacune de ses explications un ou plusieurs exemples tirés des meilleurs écrivains persans. Plusieurs traités sur la grammaire et la lexicologie, tant arabes et persans que turcs, sont rédigés en vers ; on les fait apprendre par coeur aux élèves dans les collèges, et une fois qu'ils les ont retenus, la mesure et la rime servent à les mieux graver dans leur mémoire. Qui se rappelle, à cette occasion, les poèmes didactiques des écrivains de Port-Royal et du père Buffier ?

Quelques volumes sont consacrés à là rhétorique, à la logique et à la métaphysique. Presque tous sont rédigés en arabe ; on s'est contenté, en les imprimant, d'en accompagner quelques-uns d'un commentaire, soit arabe, soit turc. Il n'est pas besoin d'ajouter que ces ouvrages, composés au moyen-âge , se ressentent de l'esprit scholastique de l'époque. Les philosophes arabes adoptèrent de bonne heure la manière de raisonner des péripatéticiens, et le nom d'Aristote jouit encore en Orient du même crédit que chez nous il y a trois siècles. L'un de ces traités est la traduction de l'Isagoge de Porphyre. La plupart de ces ouvrages, comme tous les traités élémentaires analogues, servent de texte aux professeurs dans les collèges et les écoles.

Dans l'origine, il avait été décidé qu'on s'abstiendrait de publier par la voie de la presse le Koran et les livres de théologie, de droit canonique et de jurisprudence en général. Le Koran, dans l'opinion des Musulmans est la parole même de Dieu révélée aux hommes, et il eût été contraire à la religion de soumettre à un travail mécanique ce qui à peine peut être l'ouvrage delà main de l'homme créé à l'image de Dieu. La même défense devait s'étendre aux ouvrages de théologie et de droit à cause des divers passages du Koran qui en constituent la base et qu'on y cite sans cesse. D'ailleurs, comme ce genre de livres est la portion qui a le plus de cours dans l'empire, on pouvait craindre de réduire à la misère les milliers de copistes qui vivaient de la transcription de ces ouvrages. L'interdiction a été maintenue pour le Koran , et ce n'est qu'en Russie que les Musulmans de Kasan et des autres provinces moscovites ont osé abandonner ce livre sacré à l'action d'une vile machine. Mais on a fait exception pour le livres théologiques et juridiques.

Cet événement date seulement de 1803 ; et il fallut toute la hardiesse du sultan Sélim III , qui plus tard paya ses innovations de sa vie même, pour réaliser cette espèce de révolution.  Depuis cette époque, on a publié une quinzaine d'ouvrages de ce genre. Les uns sont en arabe, les autres en turc ; presque  tous sont accompagnée d'un commentaire.  Parmi les ouvrages consacrés à l'exposition de la religion musulmane, nous citerons le traité arabe d'Omar Nessefi, que Mouradgea d'Ohsson a reproduit en français dans le premier volume de son Tableau de l'empire ottoman et le traité turc de Berkevi qui a également été publié en français par M. Garcin de Tassy.
On peut à la même occasion, faire mention d'une biographie des chefs d'un ordre de derviches, écrite en turc, et intitulée "Gouttes de la Fontaine de vie". Parmi les livres de jurisprudence , nous citerons trois recueils de fetfas ou de décisions légales du mufti, chef de la religion musulmane chez les Ottomans. On sait que dans l'empire il est  libre à tout Musulman, quand il se présente un cas de conscience ou un point de droit , de s'adresser directement au mufti. Les questions sont toujours posées en turc, résolues dans la même langue par une phrase très-courte, et le plus souvent par un seul mot affirmatif ou négatif.  Il existe un grand nombre de recueils de décisions de ce genre. En général,  les décisions sont classées par ordre de matières, suivent quelles se rapportent au jeûne à la prière , au mariage, aux successions. Deux des recueils qui ont été imprimés datent du 17e siècle, et le troisième du 18e. Ce dernier est accompagné de passages des traités fondamentaux arabes qui appuient chaque décision. Les Ottomans ont d'ailleurs des codes proprement dits. Le principal a été rédigé dans le 16e siècle; il est intitulé : "Continent des mers", comme si tout ce qui avait jusque-là été écrit sur le droit musulman se retrouvait dans cette imposante compilation. C'est l'ouvrage qui a servi de base à la rédaction des codes religieux, politique, militaire, civil, judiciaire et pénal, formant le "Tableau de l'empire ottoman" de Mouradgea d'Ohsson ; il a été imprimé en 1825 avec un commentaire, sous le titre de "Jonction des fleuves dans le but de développer le confluent des mers". Enfin, nous signalerons la traduction turque d'un ancien traité arabe sur la guerre à faire aux peuples non musulmans, et sur les lois qui président à cette guerre, intitulé "la Grande marche". On sait que d'après le Koran et la politique mise en usage par la prophète, c'est un devoir pour tous les croyants de faire une guerre à mort aux peuples étrangers à l'islamisme, et qu'on ne fait exception que pour ceux qui se soumettent à payer tribut Cette politique, professée par les Ottomans pendant plusieurs siècles, et qui favorisa puissamment leurs immenses conquêtes, était depuis deux cents ans pour ainsi dire oubliée, vu l'état de décadence où se trouvait l'empire. Peut-être la reproduction d'un ouvrage de cette nature, rédigé au commencement du neuvième siècle de notre arc, n'était-elle pas étrangère à la dernière guerre des Grecs et des Turcs.

En géographie, on n'a à citer que trois ouvrages, tous rédigés en turc. Le premier, intitulé : Gihau-Numa, ou miroir du monde, devait renfermer le tableau fidèle de l'univers tout entier ; il n'a paru qu'un premier volume, consacré à l'Asie. Toute la partie qui traite de l'Asie orientale, particulièrement de la Chine et du Japon, est tirée des relations européennes. Le compilateur turc a même mis nos livres à contribution pour les contrées mahométanes ; mais pour ces dernières régions, particulièrement pour les provinces ottomanes, pu trouve dans ce volume un grand nombre de renseignemens originaux qui ne pouvaient être fournis que pu un homme initié à la politique et à l'administration de l'empire. Aussi, cette publication n'a-t-elle pas été inutile à d'Anville, à Malte-Brun et à d'autres illustres géographes de la chrétienté. Ce premier volume parut en 1732, parles soins dis renégat Ibrahim qui y avait fait de notables améliorations. Ibrahim se proposait de publier un deuxième volume qui aurait traité de l'Europe, de l'Afrique et de l'Amérique; et cette partie attrait été non moins utile que la première, non-seulement pour les Ottomans à qui elle aurait fourni des notions précieuses sur l'état et les ressources de l'Europe chrétienne , mais pour nous qui connaissons si mal certaines provinces de la Turquie d'Europe, telles que la Bosnie. Mais ce projet ne s'est point encore réalisé ; on a mieux aimé faire part au public d'un traité général, traduit librement de l'anglais en 1804, et accompagné d'un atlas fort étendu. Le troisième ouvrage du même genre est un itinéraire de Constantinople à la Mecque, à l'usage des pélerins musulmans. M. Bianchi a donné la traduction de la partie géographique dans le deuxième volume des Mémoires de la Société de géographie de Paris. On s'étonne que les personnes préposées à l'imprimerie turque n'aient pas encore songé à publier une géographie en forme de dictionnaire, rédigée par ordre du sultan Sélim : tant il est que l'esprit de l'homme ne suit pas toujours la voie la plus courte et la plus sûre.
Un seul ouvrage est consacré à la chronologie, appelée, ainsi que la géographie, un des yeux de l'histoire. Ce sont les tablettes chronologiques de Hadji-Khalfa, composées dans le 17e siècle, et continuées jusqu'en 1733. On y trouve, année par année , et à partir de la création du monde, l'indication de tous les faits importans qui étaient parvenus à la connaissance des auteurs.

Livres historiques
La branche la plus riche et la plus intéressante, c'est sans contredit l'histoire, surtout pour la partie qui concerne les fastes de la nation. Tous les ouvrages historiques imprimés à Constantinople sont écrits en turc. Parmi ceux qui n'ont pas pour objet spécial l'empire ottoman, nous citerons une histoire de l'Égypte, depuis les plus anciens temps jusqu'à sa conquête par Sélim. Cette histoire, rédigée dans un esprit élevé, aurait pu être du plus grand prix pour les Turcs; en effet, quel est l'homme tant soit peu éclairé, qui en contemplant les débris de la grandeur des Pharaons, n'a pas senti son âme s'élever, et n'a pas éprouvé le désir de faire partager à son pays quelques-uns des bienfaits de la civilisation égyptienne? Malheureusement toute la partie du livre qui traite de l'histoire des anciens temps est un tissu de fables. L'auteur, imbu des préjugés de son siècle et de son pays, n'a vu dans les plus glorieux monumens de l'antiquité que l'ouvrage d'êtres surnaturels, et dans sa stupide ignorance, il a attribué aux génies et aux démons ce qui n'a été que le produit des lumières et des arts. Nous citerons eu second lieu une histoire de la découverte de l'Amérique par les Espagnols, histoire qui est accompagnée de la description de quelques-unes des productions naturelles du Nouveau-Monde. Ici encore l'auteur à sacrifié au goût de sa nation, en choisissant de préférence les objets qui avaient quelque rapport avec les vaines croyances de l'Orient. Publié en 1729, ce que cet ouvrage offre de plus remarquable, c'est la représentation de certains êtres animés, circonstance tout-à-fait en opposition avec l'islamisme, qui, à l'exemple du judaïsme, prohibe toute espèce d'images de ce genre. On peut enfin nommer une histoire de l'invasion des Afghans en Perse, au commencement du 18e siècle, et de la chute de la maison des Sofis. Cette histoire, écrite d'abord en latin par le jésuite polonais Kruzinski, fut traduite par lui-même du latin en turc [information incertaine], et retraduite plus tard du turc en latin, en Allemagne.

Nous avons dit que la partie la plus intéressante des livres historiques consistait dans les chroniques nationales. Il est à regretter que la portion imprimée ne commence pas à l'origine même de la monarchie. La plus ancienne commence seulement à l'an 1001 de l'hégire (1592 de J. C.), c'est-à-dire à l'époque où l'empire marchait déjà vers sa décadence. Pour l'époque qui précède, les personnes qui ne peuvent recourir aux relations manuscrites conservées dans quelques bibliothèques d'Europe, sont obligées de se berner à l'histoire des guerres maritimes des Ottomans, par Hadji-Khalfa, ouvrage d'ailleurs fort intéressant, et qui renferme des détails curieux sur les anciennes guerres de l'empire avec les républiques de Venise, de Gènes, et d'autres puissances maritimes, dans la mer Méditerranée, la mer Noire, la mer Rouge, le golfe Persique et la mer des Indes. Mais à partir de la fin du 16e siècle, les annales ottomanes imprimées ne se discontinuent pas jusqu'en 1775, à l'avènement du sultan Abd-Olhamyd. Le manuscrit du dernier continuateur, Wassif-Effendi, se poursuivait même jusqu'en 1802, un peu avant la mort du sultan Sélim III; et si cette suite n'a pas encore été mise sous presse, c'est sans doute parce que le gouvernement aura jugé que les événements étaient trop récents. La partie imprimée, formant huit ou dix volumes in-folio, est indispensable à quiconque voudra écrire l'histoire de l'empire ottoman dam les 2 derniers siècles. On peut en apprécier l'importance par l'extrait qu'a donné M. Caussin de Perceval fils, relativement à la guerre de la Turquie contre les Russes en 1770, et par l'usage que M. de Hammer a fait de la série entière dans les derniers volumes de son "Histoire ottomane". Ces annales ont été rédigées par des personnages graves, et qui, honorés du titre de Vekah-Nevisch, ou d'historiographes, recevaient du gouvernement communication des pièces officielles. Aussi, quoique écrites le plus souvent dans un style emphatique, et quoique renfermant des détails minutieux, elles méritent pour le fond des faits de faire autorité.

Destruction des janissaires
Le seul ouvrage qui ait paru sur les derniers événemens de l'histoire ottomane est le récit de la sanglante destruction des janissaires en 1825 et 1826. On pense bien qu'un ouvrage de ce genre, publié sous les auspices du gouvernement, ne doit pas être favorable aux proscrits. En effet, le volume, entremêlé d'ailleurs de vers et de prose, roule tout entier sur les iniquités de cette milice turbulente, sur les orages trop réels que son existence appelait depuis long-temps sur l'empire, et sur l'urgente nécessité d'anéantir ces ennemis de Dieu et des hommes. Son titre est Es-zefer, c'est-à-dire Myrte de la victoire, en peut-être mieux, Base du succès. Quelque interprétation qu'on adopte, il ne peut rester de doute sur l'intention qu'a eue l'auteur de rattacher à la destruction des janissaires l'idée d'une prochaine régénération. Mais une chose dont le lecteur chrétien ne se douterait pas pas, c'est une pensée d'un genre tout différent, et qui a peut-être été pour l'auteur le motif principal. Dans l'alphabet arabe, comme dans les alphabets hébreu et grec, chaque lettre est susceptible d'une valeur numérale; or, en arabe, les cinq lettres e, s, z, f, r, équivalent au nombre 1241 année de l'hégire où ce grand événement eut lieu, et constatent ainsi la date de la chute de cette vieille milice.
Ces sortes de combinaisons, appelées chez nous chronogrammes, et qui firent longtemps le charme de nos pères, auraient aujourd'hui peu de succès en Occident. Mais il n'en est pas de même de l'Orient, et l'auteur de ce singulier trait d'esprit, Mohammed-Assaad-Effendi vient d'être mis par  le sultan à la tête de la "Gazette turque" qui se publie en ce moment à Constantinople.

Passons maintenant aux ouvrages de politique et d'administration. L'on sent bien que le nombre de ces ouvrages ne peut être considérable. Nous ne citerons que le traité rédigé au turc par le renégat Ibrahim, et intitulé Nizam Alumem, c'est-à-dire "Direction des peuples". Dans ce traité publié en 1731, Ibrahim, tout en prodiguant les épithètes injurieuses aux chrétiens d'Occident, ses anciens frères, essaie de tirer les Ottomans du sommeil de l'ignorance et de l'apathie où ils étaient ensevelie, et vante les avantages qu'il y aurait pour eux à s'enquérir enfin de la politique et des ressources des peuples chrétiens leurs rivaux, à adopter les découvertes faites par la civilisation dans l'industrie, l'art militaire et les sciences; en un mot, à se mettre au moins en état de lutter avec des adversaires qu'ils avaient pendant long-temps fait trembler. On se rappelle qu'à cette époque l'empire venait dêtre vivement ébranlé par les victoires du prince Eugène. Aussi le renégat Ibrahim, en digne musulman, n'épargne ni les conseils ni même les réprimandes. Mais tel était alors l'état de torpeur où se trouvait la nation, que cet écrit passa inaperçu.

Un seul livre de médecine
Un seul ouvrage a été publié sur les sciences médicales et cet ouvrage est une compilation des traités italiens, français, etc. L'auteur, nommé Schani-Zadé, avait fait ses premières études en Italie, et l'ouvrage devait se composer en tout de cinq livres. Les trois premiers livres, dont M. Bianchi a donné une notice particulière, et qui ont paru en 1820, accompagnés de planches, traitent successivement de l'anatomie, de la physiologie, de la pathologie et de la préparation des remèdes. Le reste des questions, relatives à l'art de guérir, devait former les livres quatrième et cinquième. Nous ne connaissons que le quatrième livre, qui est consacré aux opérations chirurgicales, et qui a été imprimé séparément en Égypte.
On sait qu'en Orient un préjugé religieux défend d'ouvrir les cadavres. Ce serait aux yeux des musulmans vouloir contrôler les oeuvres du Créateur, et l'on préfère se contenter de notions approximatives. C'est ce qui fait que l'anatomie a de tout temps été si arriérée chez les Orientaux. Un autre obstacle aux études anatomiques, c'est la défense religieuse de toute représentation d'être qui a eu vie. C'est donc une bien grande innovation que l'adjonction de planches anatomiques à la première partie de l'ouvrage de Schani-Zadé. Maintenant que le principal obstacle est levé, on ne voit plus guère de difficultés qui empêchent les Ottomans de se tenir au moins au courant des travaux mis à exécution, dans l'Occident. Il y a quelques mois, le choléra-morbus s'étant montré à Constantinople, le gouvernement, affranchi des idées de fatalisme si enracinées chez les Orientaux, se hâta de faire imprimer au nombre de 4,000 exemplaires une notice sur les précautions à prendre contre ce fléau; cette notice, rédigée par le médecin en chef du sérail, fut distribuée aux officiers supérieurs de l'armée, à tous les fonctionnaires de l'état, et aux diverses classes du peuple. Déjà il existait dans la capitale une école de médecine et de chirurgie dirigée d'après les principes européens. Le sultan vient d'en créer une nouvelle affectée spécialement à la chirurgie militaire, et confiée au docteur français M. Sat-Deygallières. Cette école, située sur le Bosphore, peut renfermer 200 élèves. L'ouverture a eu. lieu le 8 janvier 1832, et le programme des cours d'hiver, qui a été publié par le Moniteur ottoman, renferme ces six articles : anatomie descriptive, bandages et appareils, médecine opératoire, pathologie externe et matière médicale, hygiène militaire et clinique chirurgicale.

Les Arabes, les Persans et les Turcs possèdent, dans leur langue respective, de nombreux ouvrages relatifs à l'Art de guérir. Les premiers surtout peuvent citer des hommes qui dans leur, temps firent faire des progrès à l'art, et qui jouirent d'une grande renommée dans l'Occident et dans l'Orient. Mais ces ouvrages sont aujourd'hui surannés. Telle est d'ailleurs l'idée de supériorité accordée à l'Europe civilisée, qu'en Orient même il suffit d'être Européen pour être regardé par le vulgaire comme possesseur de la panacée universelle. Aussi songea-t-on de bonne heure à naturaliser en Turquie les meilleurs traités de médecine de la chrétienté. Le gouvernement avait jeté les yeux sur l'ouvrage anglais de Sydenham et sur les Aphorismes de Boerhaave; ce fut sans doute la crainte de blesser trop vivement le préjugé national, qui empêcha de donner suite à ce projet.

Mathématiques, art militaire et navigation
La plupart des autres ouvrages publiés à Constantinople se rapportent aux sciences mathématiques, à l'art militaire et à la navigation. Ils ont été publiés à peu d'intervalle les uns des autres, à partir de l'année 1786 , époque où l'artillerie, le génie et les autres branches de l'art militaire ayant fait d'immenses progrès dans l'Europe civilisée, les armées ottomanes, par leur état stationnaire, venaient d'éprouver de terribles échecs de la part des Russees. La plupart de ces ouvrages furent rédigés ou du moins publiés boue la. direction d'officiers français envoyés pour cet objet par Louis XVI au sultan. Quelque-uns même furent traduits de livres français. On fonda des écoles dans lequelles ces traités servirent à l'enseignement. il y a plus ; un professeur de français, une bibliothèque et une imprimerie française furent annexés à la principale de ces écoles pour la commodité des élèves et des maîtres. Parmi les ouvrages imprimés à cette occasion, l'on peut citer des Tables de logarithmes, un Traité de géométrie arabe du treizième siècle de notre ère, d'après les élémens grecs d'Euclide et d'Hypsiclès, mais qu'il ne faut pas confondre avec l'Euclide arabe imprimé en Italie, le Traité de l'attaque et de la défense des places, ainsi que celui des mines par Vauban, les Traités de Lafitte et de Belidor sur l'art de la guerre et des constructions en général, enfin le Traité de navigation pratique de M. Truguet. Les ouvrages relatifs à l'art militaire, imprimés en dernier lieu à Constantinople, sont de simples instructions adressées aux troupes des diverses armes, d'après les nouvelles réformes. .

Il se publie en ce moment un Recueil des sciences mathématiques, par Eshak-effendi, ci-devant drogman de la Porte, et aujourd'hui premier professeur de l'école impériale du génie. Ce recueil est en turc, et doit se composer de quatre volumes. Le premier, le seul qui ait paru, renferme l'arithmétique l'algèbre et la géométrie; le second sera consacré à la trigonométrie rectiligne, à l'algèbre, aux sections coniques et ait calcul différentiel; il sera traité dans le troisième de la physique, de la mécanique, de l'hydraulique, de l'aérostatique et de l'optique; le quatrième parlera de l'électricité, de la trigonométrie sphérique, de l'astronomie et de la chimie. L'ouvrage sera terminé par un traité de géographie et de l'art de fondre les canons. Le Moniteur ottoman, qui nous fournit ces détails, ajoute que l'ouvrage est tiré à onze cents exemplaires, et qu'il se vend chez l'auteur. Ainsi voilà l'imprimerie impériale mise à la disposition des particuliers.

Chose singulière, l'imprimerie de Constantinople n'a encore publié aucun de ces traités généraux, de ces livres encyclopédiques qui s'arrêtent à la superficie des choses, mais qui sont fort utiles aux personnes arriérées, et que les personnes instruites elles-mêmes consultent avec fruit.

Il existe cependant en arabe, en persan et en un certain nombre d'ouvrages de ce genre qui ont eu leur prix à une certaine époque, et qui, auraient encore leur utilité, ne fût-ce que de donner l'idée de faire mieux.  Ces ouvrages, commençant à l'origine même des choses, traitent d'abord de la création du monde et de la cosmologie ; viennent ensuite les leçons d'astronomie, qui, aux yeux de la plupart du Orientaux, se confondent avec l'astrologie. De là l'auteur vous conduit à la géographie, puis à l'histoire enfin à la minéralogie, à la botanique et à la zoologie. Le seul ouvrage imprimé qui se rapproche de ces espèces de tableaux des connaissances humaines, est celui qui porte le titre de Perles de choix distribuées de manière à servir de correctifs aux erreurs les  plus répandues. L'ouvrage est écrit en turc et disposé par ordre alphabétique ; mais les questions n'y sont pas assez souvent considérées sous leur point de vue applicable. On y remarque un long article sur la musique et un autre sur les alphabets de divers peuples.

On n'a pas non plus publié de dictionnaires géographiques et de dictionnaires des hommes célèbres. Ce sont pourtant les livres indispensables pour rendre l'instruction populaire, et il existe depuis logtemps des ouvrages en manuscrit dans les principales langues de l'Orient.

Ouvrages imprimés en Europe

Il est vrai qu'aux ouvrages réellement imprimés à Constantinople, on pourrait joindre, en quelque sorte, plusieurs des ouvrages orientaux publiés à différentes époques, en Europe. Les Médicis, vers la fin du seizième siècle, en faisant imprimer à grands frais et avec une magnificence vraiment royale, des éditions arabes des Élémens de géométrie d'Euclide et du Canon d'Avicenne, avaient l'idée de faire tourner ces éditions à l'avantage des pays d'où les livres originaux étaient venus. Ce qui le prouve, c'est l'édit du sultan Amurat III, placé à la fin de l'Euclide et qui autorise la libre circulation du livre dans les provinces de l'empire.  Mais à cette époque les préventions nationales étaient trop fortes pour que les lumières venues d'Occident ne fussent pas reçues avec méfiance.  Aujourd'hui les préjugés se sont affaiblis, et le pacha actuel d'Égypte fait dessiner et lithographier à Paris les figures et les tableaux qui retracent les manoeuvres des divers corps des troupes égyptiennes, infanterie, cavalerie, artillerie et génie. Le pacha a d'ailleurs établi au Caire une lithographie et une imprimerie qui doivent hâter les progrès de la civilisation. Déjà l'imprimerie égyptienne a publié environ soixante ouvrages, dont plusieurs, à la vérité, ne sont que la reproduction de ceux de Constantinople.

Peu d'impact
Tel est le tableau sommaire des ouvrages mis au jour par la presse turque. Maintenant, si on jette un coup-d'oeil général sur les résultats obtenus jusqu'ici, on ne verra dans l'établissement de l'imprimerie ni vue élevée, ni plan déterminé. Dans les commencements, ce sont quelques individus isolés qui, négligeant de parler aux masses, se contentent de rendre plus accessibles quelques grands ouvrages de géographie, d'histoire et de lexicologie. Une preuve du peu d'effet produit par les premières publications, c'est le peu d'intérêt mis jusqu'ïci à donner la suite de la géographie intitulée Gihan-Numa, à tel point que le premier volume ayant paru en 1732, ce ne fut qu'en 1804 qu'on s'occupa d'imprimer, en attendant le second, un traité général moins étendu. Comment s'étonner après cela, qu'en 1769, l'impératrice Catherine II faisant partir de Saint-Pétersbourg une escadre russe pour croiser dans l'Archipel, les Ottomans, quoique avertis d'avance, négligeassent d'abord de prendre les mesures convenables, ne croyant pas à la possibilité pour une flotte de se rendre de la mer Baltique dans la mer Méditerranée ? Que dire également de la négligence mise par le gouvernement à propager par la voie de la presse les chroniques nationales qui remontent aux premiers siècles de la Monarchie, à ces siècles de victoires et de conquêtes, dont les chrétiens eux-mêmes ne peuvent lire le récit sans émotion ?

Si en 1785 et dans les années suivantes le gouvernement provoqua la publication d'ouvrages relatifs aux mathématiques et à l'art de la guerre, ce fut à cause de l'infériorité toujours plus sensible du système militaire turc, et du danger qui menaçait l'empire. Ces ouvrages cependant commençaient à produire de l'effet, et les écoles créées à la même époque portaient déjà des fruits, lorsqu'en 1807 une révolution précipita Sélim III du trône, et remit presque tout dans le chaos.

Développements récents
L'imprimerie de Constantinople n'a réellement occupé la place qu'elle devait avoir, que dans ces dernières années, en obtenant l'autorisation de publier indifféremment des livres d'histoire et de religion ; de mathématiques et de médecine, sans excepter les planches qui doivent servir à l'éclaircissement des textes ; ce qui doit accélérer l'impulsion, ce sont les nouvelles écoles spéciales d'où sortent toutes les années un certain nombre d'élèves, et qui donneront un point de direction au public.

On se tromperait si l'on croyait l'islamisme incompatible avec les lumières. Quel âge plus brillant pour la littérature que celui des Aaron-al-Raschid, des Almamoun et des Abdérame ! Il est seulement vrai que, dans l'état de dépérissement où l'empire ottoman se trouvait depuis deux siècles, tout élan était interdit aux sciences et aux arts. Le corps des ministres de la religion et de la loi, décorés du titre d'ulémas ou de savants, avait profité de la faiblesse des sultans pour s'emparer de la direction des affaires et de la fortune publique; de leur côté, les janissaires, fiers de leurs anciens exploits, et impatients de tout joug, étaient devenus l'effroi du gouvernement au lieu d'être son appui. Les uns et les autres, intéressés au maintien des abus, s'accordaient à prévenir tout ce qui aurait pu ramener l'ordre et la sécurité.

L'éducation était à peu près la même pour les jeunes Turcs de toutes les classes, sans compter ceux qui étaient admis aux emplois publics sans savoir ni lire ni écrire. Les élèves des écoles et des collèges après avoir passé par les premiers élémens, s'occupaient successivement de la logique et de la méta.physique, d'où ils étaient introduits à l'étude du Koran et de ses innombrables commentaires. Toutes ces études, d'ailleurs utiles pour le pays, se faisaient sur un plan pédantesque, et l'élève qui se piquait de littérature croyait arriver à la gloire en rimant quelques vers, ou en se chargeant la mémoire de poésies arabes et persanes; rarement le maître songeait à appeler l'attention des auditeurs sur les sciences d'application et sur les notions positives: or, de quoi auraient servi les livres les mieux pensés, lorsqu'il n'existait pas de public pour les apprécier?

Il n'en était pas de même il y a trois siècles, sous les Mahomet II, les Sélim III et les Soliman. Le souverain ne craignait pas de provoquer les découvertes de tout genre. Aussi l'empire ottoman marchait, alors de pair avec les royaumes les plus florissants. En ce moment, les effets amenés par l'établissement de hautes écoles à Constantinople commencent à être sensibles. Le nombre des jeunes Turcs qui se forment à l'étude des langues et des sciences d'Europe, va toujours croissant, et c'est ici le cas de dire quelques mots des livres français imprimés en différents temps à Constantinople, livres qui ne sont pas tout-à-fait étrangers à ce mouvement.

Imprimeries françaises à Istanbul
Dès 1730 il se forma dans la capitale de l'empire ottoman une imprimerie française qui servit à imprimer la Grammaire turque du jésuite allemand Holderman, et à l'aide de laquelle le P. Romain, capucin français, avait commencé un dictionnaire français, italien, grec vulgaire, latin, turk, arabe et persan, dont il n'a malheureusement paru que la première feuille. Ce fut en partie avec ces mêmes caractères, appartenant au gouvernement, qu'en 1798, Mahmoud Rayf efendi, ex-secrétaire de l'ambassade turque à Londres, publia, en turc et en français, le tableau des nouveaux réglements de l'empire ottoman, accompagné de vingt-sept planches représentant les casernes occupées par les nouvelles troupes organisées à l'européenne,  les vaisseaux, etc.
D'un autre côté, le comte de Choiseul-Gouffier établissait, en 1787, une imprimerie particulière dans le palais de l'ambassade de France; et de cette imprimerie sortirent successivement les Elemens de la langue turque, par le père Viguier, ainsi que les traductions turques des traités de Lafite et de M. Truguet, déjà cités, et une gazette française publiée en 1795 par l'ambassadeur Verninac.

L'action de Selim III
La langue française, comme on le voit, dominait tout-à-fait à Constantinople, et l'on n'est pas étonné que Sélim, voulant régénérer ses états, calquât ses réformes sur ce qui existait alors en France. Non-seulement il fit traduire des ouvrages du français en titre, mais il chercha à propager le plus qu'il put la langue française parmi ses sujets ; il fonda même à Scutari, de l'autre côté du Bosphore, où l'imprimerie impériale avait été transférée, une nouvelle typographie française qui devait faire part à l'Europe civilisée des résultats obtenus par les Turcs dans les sciences et les arts.
Cette imprimerie a déjà donné le jour à plusieurs traités qui ne sont pas très importants en eux-mêmes, mais qui montrent ce que peuvent une volonté ferme et une persévérance inébranlable. Parmi ces traités nous citerons la Diatribe de l'ingénieur Mustapha sur l'état actuel de l'art militaire, du génie et des sciences à Constantinople écrit daté de l'année 1803 ; nous citerons encore un mémoire sur la trisection de l'angle,
qui a paru dans ces dernières années. Ce dernier écrit, que nous n'avons jamais vu, est annoncé comme étant d'une rédaction fort élégante, bien que la solution du problème qu'on y trouve soit fausse comme toutes celles qui ont été données jusqu'ici. Sans doute une partie de ces résultats sont moins dus aux nationaux qu'à des Grecs élevés dans les sciences de l'Europe chrétienne et à des renégats. Sans doute les Ottomans ont bien des efforts à faire avant de pouvoir rivaliser avec les peuples voisins leurs maîtres  ; mais si le sultan actuel se maintint encore quelques années, et qu'aucun accident ne vienne l'arrêter dans ses projets, n'est-il pas permis de croire que ces belles contrées, jadis le centre du monde civilisé, reprendront une partie de leur ancien éclat ? Que les monarques chrétiens n'essaient-ils d'arborer de nouveau la croix dans la ville de Constantin ? S'ils ne le peuvent pas, ou s'ils ne l'osent ne doit-on pas faire des voeux pour que les indigènes se forment eux-mêmes à des idées d'ordre et de justice et que tous les habitants de ces vastes régions, musulmans et chrétiens, jouissent enfin des bienfaits d'un gouvernement régulier ? Une observation qui rentre tout-à-fait dans notre sujet, et que nous ne nous pardonnerions pas de passer sous silence, c'est que jusqu'ici, parmi tous les ouvrages musulmans publiés à Constantinople, il n'en est pas un qui soit dirigé contre les chrétiens du pays et les autres populations étrangères à l'islamisme.

A la vérité, le code ottoman intitulé le Confluent des mers, rédigé dans le seizième siècle, et imprimé en 1825, renferme plusieurs dispositions relatives à l'obligation où sont les musulmans, de faire une guerre à mort aux ennemis du Koran. La même année, la presse ottomane publia la traduction turque de l'ouvrage arabe intitulé La grande Marche et qui  roule tout entier sur les mêmes questions. Il est certain que le véritable esprit de l'islamisme est incompatible avec tout autre mode de sociabilité, et que, sans les progrès faits par l'Europe civilisée dans les sciences et les arts, l'empire turc serait maintenant aussi envahissant qu'il y a trois siècles. Il en encore vrai qu'on a à reprocher aux agents de gouvernement ottoman et au gouvernement lui-même de nombreux excès contre les chrétiens du pays. Mais à mesure que les Ottomans se civiliseront, ils dépouilleront leur ancienne férocité. Pour ne parler que du passé, n'est-il pas fort heureux pour les chrétiens d'Orient que le gouvernement ait écarté tout ce qui aurait pu irriter l'esprit de controverse. Les chrétiens grecs, syriens, arabes, arméniens, restent libres de multiplier par la voie de la presse, leurs livres religieux et les monuments de tour littérature. Les Turcs jouissent de la même liberté. Mais aucune communion n'a la faculté d'attaquer l'autre. Sans cette politique du gouvernement, il n'existerait peut-être plus de chrétiens dans les pays mêmes où le christianisme prit naissance.

Dans l'origine il n'était pas permis aux chrétiens et aux juifs de faire usage dans leurs impressions de caractères arabes; c'était afin de prévenir entre eux et les musulmans tout point de contact, et il y avait peine de mort contre les musulmans qui auraient été surpris lisant un livre imprimé par eux. Dans le Pentateuque hébreu, arabe, persan et chaldéen publié en 1546 par les juifs de Constantinople, les versions arabe et persane sont rendues en caractères hébreux. On a vu combien depuis plus d'un siècle la politique du gouvernement s'est adoucie, et en 1826 un riche Arménien de Constantinople, publia à ses frais un dictionnaire persan, expliqué en arménien et accompagné des équivalents arabes. L'ouvrage était surtout destiné aux nombreux Arméniens établis dans les provinces persanes, et à tous ceux qui cultivent la littérature des Persans. il existe des ouvrages analogues pour les Arméniens établis en Turquie, ou qui cultivent le turc.

En Perse, de temps de Chardin, c'est-à-dire dès la dernière moitié du dix-septième siècle, on avait eu l'idée de fonder une imprimerie à Ispahan. Des caractères orientaux furent envoyés pour cet objet d'Europe. Mais la mollesse qui caractérisa les derniers souverains de la maison des Sofis, et les événemens qui troublèrent plus tard la Perse, empêchèrent de donner suite à projet. Ce n'est que dans ces dernières années que le prince royal Abbas-Myrza a créé une imprimerie à Tauris, chef-lieu de son gouvernement, et encore la guerre désastreuse de la Perse coutre la Russie en 1826 a ralenti tout progrès. On cite cependant, parmi les ouvrages imprimés à Tauris, le Gulistan, ou Jardin de Roses, par le célèbre Sadi ; et une histoire de la dynastie des Kadjars, actuellement régnante en Perse. Il a même été établi une seconde imprimerie à Sultanié, entre Tauris et Téhéran, capitale du royaume.