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Ce texte est extrait de la Grammaire turque, 1836, pages XLV-XLII.
Les préjugés qui nous ont induits à croire que les Turks n’étaient que des barbares ignorants sont heureusement détruits aujourd’hui.

Le siècle est passé, où les louanges qu’un peuple chrétien aurait prononcées, seraient refusés aux Mahométans ; mais nous avons encore à lutter contre notre connaissance imparfaite du caractère des Osmanlis, jointe à un certain degré de prévention, résultant de notre éducation. La différence entre le génie de l’Orient et celui de l’Occident forme une espèce de barrière, pour porter un jugement impartial sur la littérature orientale. Formée sur le modèle des Grecs et des Romains, tempérée par la nature de notre climat, la littérature de l’Europe n’a presque rien de commun avec celle de l’Asie. Le climat du Nord ne diffère pas plus de celui des régions orientales que le goût de leurs habitants pour la littérature. Les beautés de l’un sont des imperfections dans l’autre ; et ce que l’un admire, l’autre le méprise. De toutes les nations orientales, ce sont les Osmanlis dont le génie approche le plus de celui des deux hémisphères. Situés en Europe et en Asie, tirant leur origine de l’une, et ayant des relations continuelles avec l’autre, ils ont appris en partie à unir les beautés de chacune, et ils arriveront peu-à-peu à rendre cette union la plus complète. Mais quoique la différence entre le génie et le style osmanli soit moins sensible que dans tout autre langue de l’Asie, il n’en est pas moins un idiome oriental ; et à en juger par le nôtre, nous le trouverons, sous plusieurs rapports, sans conformité avec nos idées. En prononçant ainsi sur la littérature orientale, nous la soumettons en quelque sorte à nos préventions ; car nous condamnons tout ce qui diffère de la règle dont nous nous servons, et conséquemment peu de chose échappera à la censure du critique. Dans le monde physique, nous jugeons de tout par comparaison. Nous jugeons les diverses espèces d’animaux par eux-mêmes : nous ne comparons point la fourmi avec l’éléphant, ou l’aigle avec la mouche : cependant chacune de ces créatures peut-être parfaite en elle-même. Ne suivions donc pas la marche opposée pour prononcer sur la littérature des nations qui diffèrent essentiellement dans leurs goûts et leurs opinions : tâchons s’il est possible, de déraciner de notre esprit les préjugés de l’éducation, et ne condamnons pas sans réflexion ce qui ne s’accorde pas avec nos idées.

Aucune nation n’est plus passionnément attachée à la littérature que les Osmanlis. La religion qu’ils professent, au lieu d’empêcher leurs progrès dans les connaissances (comme nous l’ont assuré les ignorants) fait voir que leur prophète lui-même leur commande. « Cherchez les connaissances » dit-il, « fussent-elles même dans la Chine. Il est permis aux Moslems de posséder toute la science ». Le commandement du prophète fut répété par le Sultan. La bibliothèque fondée par le conquérant de Constantinople porte cette paraphrase pour inscription : « L’étude des sciences est un précepte divin pour tous les vrais croyants. ». On a obéi au prophète et au Sultan. Les Osmanlis ont recherché la science avec passion ; ils ont cultivé la littérature avec zèle ; et le but que je me propose dans cette partie de mon Essai, est de tâcher de montrer que leurs efforts n’ont pas été entièrement sans succès.