Extrait de l'ouvrage "Les Jeunes voyageurs en Turquie" destiné aux jeunes et paru en 1851.

La Moldavie et la Valachie

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MOLDAVIE

La Moldavie, province la plus septentrionale de la Turquie d'Europe, ayant le titre de principauté, est bornée au nord et à l'est par la province russe de Bessarabie, dont elle est entièrement séparée par le Pruth, au sud par la Bulgarie et la Valachie inférieure, à l`ouest par la Transylvanie, vers laquelle elle a pour limites les monts Carpathes, au nord par la Gallicie. L'hiver, dans ce pays, est très rigoureux. Les vents du sud-ouest y apportent en juin des pluies qui reviennent tous les jours presque à la même heure; les neiges des Carpathes fondent à peu près à cette époque, et produisent des inondations dévastatrices. En juillet et en août, la chaleur du jour est étouffante, et les nuits sont très fraiches; l'automne est pluvieux. Les principales productions de ce pays, où l’agriculture est généralement négligée, sont le blé, dont on exporte une partie dans les années d'abondance ; l'orge, le maïs, beaucoup de fruits, de légumes, de plantes potagères et de vin. On en récolte aussi une quantité considérable d'assez mauvaise qualité, qui n'est consommé que par le peuple.

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Il y a d'immenses forêts qui, avec les paturages, occupent la plus grande partie du territoire. On élève, en Moldavie, de nombreux troupeaux de chevaux et de bêtes à cornes et à laine. Les chevaux sont beaux, bien faits, vigoureux, vifs et dociles; on en fait des exportations considérables on Autriche et en Prusse. On soigne beaucoup les bêtes à cornes qui sont d'une belle race, et dont on fait des envois en Russie et en Pologne. Les forets recèlent des sangliers, des cerfs, des daims, des chamois, des ours, des loups, des renards, des martres, des lièvres, etc. Les rivières sont très poissonneuses. Les fabriques ne sont employées que des objets de première nécessité, tels que de l’eau de vie et quelques ustensiles en fer et en bois. La population s'élève à environ cinq cent mille habitants. On conjecture que les Moldaves descendent des Daces, dont ils occupent en partie le territoire, des Romains, qui colonisèrent la Dacie, après l'avoir conquise, et des Slaves qui s'y établirent lors des irruptions des barbares. Ils sont faibles de constitution et indolents; ils ont conservé une partie de l'habillement des Daces. Ils sont trompeurs, méfiants et vindicatifs; les hommes puissants sont durs envers leurs inférieurs. La plus grande partie du peuple est d'une ignorance profonde; il n'y a d'écoles publiques que dans quelques villes principales, et elles sont assez mal organisées. Les riches envoient leurs enfants dans les universités russes ou allemandes. Ce sont presque uniquement des Grecs de Constantinople, des Italiens, des Arméniens ou des Juifs qui exercent les diverses professions.  

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On ne donne que peu ou point de soin à la construction des habitations. La plupart sont en bois grossièrement ajusté et recouvert de chaux, avec toiture en paille ou en roseaux; au lieu de vitres, c'est du papier huilé ou du parchemin. Les Moldaves professent la religion grecque, à laquelle ils sont très attachés. Il y a un archevêque à lassi [Iași], et environ sept cents églises et soixante couvents dans toute la province. La Moldavie est divisée en dix-sept districts, et a pour capitale Iassi. Bogden, chef d'une colonie Valaque, vint s'établir dans la Moldavie, vers la fin du douzième siècle, et fut le premier souverain de cette contrée; il en fonda les villes principales, y établit la religion grecque, et donna le nom de Bogdania à la partie septentrionale. La Moldavie se soumit à la Hongrie dans le quatorzième siècle. Les Turcs en obtinrent ensuite la souveraineté sous Soliman Ier en 1529, mais à la condition que les habitants conserveraient leur religion, leurs lois, leurs privilèges; qu'ils seraient exempts de tout impôt, et qu'ils nommeraient leur hospodar ou waiwode [voïvode]. Au commencement du dix-huitième siècle, la Porte s'attribua le droit exclusif de nommer ce chef, et depuis cette époque jusqu'à la dernière guerre entre la Russie et la Turquie, la dignité d'hospodar a été vendue plutôt que conférée à des Grecs de Constantinople, Le traité de 1829 entre ces deux puissances, qui déclare que la principauté jouira d'un gouvernement indépendant, du libre exercice de sa religion, et d'une entière liberté de commerce, donne à la Russie aussi bien qu’à la Porte de désigner l'hospodar. 

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Celui-ci, dont le gouvernement était septennal, est nommé à vie ; il est secondé par un divan composé des principaux boyards, et présidé par l’archevêque. La principauté paie à la Porte un tribut d’environ 165,000 piastres ; elle est exemptée de toute fourniture en grains, bestiaux, bois de construction, qu’elle était précédemment obligée de fournir pour la consommation de Constantinople et pour l’approvisionnement des forteresses du Danube et de l’arsenal. La condition de sujets d’état (proprement dits esclaves) a cessé. Il n’est permis à aucun Turc d’habiter ce pays.

Iassi ou Jassy, capitale de la Moldavie, est en partie sur une colline fort agréable, et en partie dans une vallée où il y a des marais qui en rendent l’air assez mal sain. Elle n’a plus pour toute défense qu’une petite forteresse située sur une hauteur. L’emplacement qu’elle occupe est très vaste, la plupart des maisons étant séparées les unes des autres et entourées de cours, de jardins et de plantations d’arbres. Depuis l’incendie de 1822, qui a détruit quatre mille sept cent maisons, Iassi n’offre plus qu’un aspect fort triste. Au lieu d’une infinité de demeures élégamment construites, on n’y voit plus guère que des bâtiments élevés d’un étage  et construits en bois, dans le goût oriental, des emplacements vides ou remplis de décombres. La grande rue, extrêmement large, est garnie de chaque côté de boutiques très basses et de peu d’apparence ; les autres rues sont en général étroites et tortueuses ; toutes, au lieu de pavés, sont recouvertes de madriers liés les uns aux autres, et dont la surface n’est unie que dans quelques unes ; 

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dans la saison pluvieuse, elles sont constamment couvertes d'une vase liquide qui pénètre à une assez grande profondeur, en été, d'une poussière noire et épaisse qui, au moindre souffle de veut devient très pernicieuse pour les yeux et les poumons : au-dessous de ces madriers sont des canaux qui exhalent souvent une odeur infecte. L'ancien palais du prince, qui était un très bel édifice, a été détruit par un incendie, et remplacé par un autre peu considérable, dont l'aile principale a été détruite dans l'incendie de 1822. Les édifices religieux, solidement bâtis en pierre ou en briques, ont presque tous survécu aux malheurs qu'a éprouvés cette ville. Les plus remarquables sont : le palais archiépiscopal et l'église métropolitaine de Saint-Nicolas, le couvent de Triswetecht, où sont enterrés les archevêques: celui de Golic, avec ses tours élevées; ceux de Sokolla, de Tschetczuje et de Galata, ainsi que les églises de Swele Georgi, de Swette Spiridion et dc Formosa. On y compte encore un grand nombre d`églises, de couvents et de chapelles; il y a aussi dans cette ville un grand bazar, des bains publics, une imprimerie valaque, la seule qui existe dans le pays. L'éducation y est peu soignée; on n'y trouve qu'un petit lycée, un séminaire et quelques écoles primaires. Il y a peu d'industrie, mais le commerce y est assez considérable, surtout durant les foires qui s'y tiennent. lassi fut presque entièrement brûlée en 1723, ravagée par la peste en 1772, et incendiée par les janissaires en 1822. Elle renfermait autrefois plus de quarante mille habitants; on en compte à peine aujourd'hui vingt-cinq à trente mille, presque tous Grecs, et quelques catholiques et Juifs.  

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Un faste ruineux et la passion du jeu caractérisent les habitants; leur costume offre un mélange d'oriental et d`européen; les nobles portent la robe traînante des Turcs et en affectent la gravité; le costume brillant des femmes riches forment un contraste curieux avec la misère générale qui paraît régner dans cette ville. Les environs sont agréables et fertiles; ils produisent surtout du vin qui passe pour être excellent. lassi fut, du temps des Romains, une ville très importante; on prétend qu'elle contenait alors quatre-vingt mille habitants. Elle a été souvent prise par les Russes, qui l'ont toujours rendue à la paix. En 1788, ses fortifications furent démolies, à l’exception de la petite forteresse qui existe encore. En 1792, on y négocia un traité de paix entre la Russie et la Porte. 

VALACHIE.

La Valachie est bornée au nord par la Transylvanie, dont les Carpathes la séparent; au nord-est par la Moldavie avec laquelle elle a pour limites la Mitkou et le Sereth; à l'est et au sud, par la Bulgarie dont le Danube la sépare; à l'ouest, par la Servie, vers laquelle le même fleuve la borne, et par la Hongrie, avec laquelle la Czerna forme une partie de sa limite. Sa longueur est d'environ cent lieues, sa largeur de quarante.

La surface de cette contrée est très diversifiée. Elle est montagneuse dans le nord, où les monts Carpathes projettent de nombreuses ramifications; dans la partie centrale et au sud, de riches et vastes plaines sont entrecoupées de vallées fertiles et romantiques.

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Peu de contrées sont plus favorisées de la nature, et pourraient présenter une culture plus étendue, si le gouvernement était plus éclairé ct les propriétés plus respectées. Dans ce pays l'hiver est court, mais rude, ce qu'on peut attribuer aux régions froides du nord, ainsi qu'à l'état négligé de l'agriculture. Les chaleurs de l'été sont très fortes. Le sol est riche dans les plaines et dans les vallées. Ses productions consistent principalement en froment, millet, pois, fèves et maïs. Ce dernier grain est la base de la nourriture des habitants des campagnes. Les fruits y sont abondante; les pâturages excellents; les chevaux de belle race; les abeilles très nombreuses. La Valachie est presque entièrement dépourvue de manufactures. La fabrication d'ouvrages grossiers occupe une grande partie des cent mille Bohémiens qu'elle renferme, son commerce aussi arriéré que son industrie, est entre les mains des Juifs, des Grecs et des Arméniens. Outre les nations qu'on vient de citer, cette province a pour habitants les Valaques proprement dits, et un grand nombre de Bulgares et de Rasciens. On conjecture que les Valaques, comme les Moldaves, leurs voisins, descendent des Daces, dont ils occupent le territoire, des Romains qui, après avoir conquis la Dacie, y envoyèrent des colonies, et des Slaves qui s'y établirent à la suite de l'irruption des barbares. Les Valaques sont généralement robustes, et d'une physionomie agréable, mais habitants d`un pays fertile et barbare, ils sont paresseux et ignorants.  

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Le nom de Valaques, qui signifie pasteur en langue slave, leur fut donné  à l’époque de leur émigration avec leurs troupeaux, de l'autre côté du Danube. Ils fondèrent plusieurs colonies dans quelques cantons de la Macédoine et de la Thrace et dans les gorges du Pinde. Les descendants de ces colons pasteurs et guerriers, comme leurs ancêtres, sont encore désignés sous le nom de grands Valaques. Les Valaques appartiennent presque tous à l'église grecque; ils ont adopté l’alphabet slave. Les habitants des hautes classes ont une prédilection pour la langue italienne. Quelques-uns d'entre eux envoient leurs fils étudier à Padoue, mais la plupart se contentent du collège de Bucharest, où ils acquièrent. Quelques connaissances de leur religion, on plutôt des cérémonies de son culte extérieur et de la langue italienne. Le français est peu étudié, et l'allemand est répandu dans la seule classe des marchands.

Les sciences sont en général si peu connues que la langue valaque a à peine une expression scientifique. Du reste le caractère moral des Valaques est tout à leur avantage; ils sont hospitaliers et francs. Les soldats sont indisciplinés mais braves.

La Valachie compte environ un million d'habitants. Cette province fut anciennement comprise dans la Dacie. Avant la conquête qu'en firent les Romains sous Trajan, l'histoire n'en fait aucune mention authentique. Ce fut par l'ordre de ce prince qu'elle fut colonisée, cultivée et peuplée.

Durant la décadence de l'empire, elle éprouve le sort des autres provinces frontières, et fut alternativement au pouvoir des empereurs de Constantinople et des barbares. Ce fut, dit-on, pendant le neuvième siècle qu'elle adopta les doctrines de l’église grecque, et vers le douzième que fut fondée la ville de Bucharest [Bucarest].

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La Valachie a été en partie soumise à la Hongrie, puis ravagée par les Turcs, et forcée de leur payer un tribut. Depuis, elle a été à la fois sous la dépendance de la Porte et de l'Autriche, et plus tard de la Russie, qui intervint pour assurer quelques franchises à ses habitants, ainsi qu'elle l'avait fait pour ceux de la Moldavie. Comme cette dernière, la principauté de la Valachie est gouvernée par un Hospodar, nommé à vie, et paie le même tribut de soixante-cinq mille piastres à la Porte Ottomane. Celle province a pour capitale Bucharest ou Boukharest, située dans une plaine marécageuse, sur le bord de la Domliovitza qu'on y traverse sur un pont. Cette ville, comme Jassi, occupe un immense emplacement, les maisons étant séparées par des cours, des jardins et des avenues d'arbres. Ses rues sont pareillement pavées avec des poutres placées en travers et assujetties aux extrémités. Les maisons, bâties en bois ou en plâtre, sont basses. On remarque au centre de la ville l'ancien palais du gouverneur, qui est moins beau et moins élégant que le nouveau, situé près de la cathédrale. Les hôtels des consuls autrichien et russe s'y distinguent par leur construction faite avec beaucoup de goût. On y remarque aussi le palais archiépiscopal et l'église métropolitaine grecque. Bucharest renferme soixante églises grecques, vingt couvents grecs, et diverses autres églises pour les différentes religions. On y voit un grand bazar, plusieurs hôpitaux et maisons de santé, une bibliothèque publique, un lycée grec, une société consacrée aux sciences et plusieurs écoles élémentaires. 

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Cette ville, entrepôt de toutes les marchandises de la Valachie, compte environ quatre-vingt mille habitants, dont les Grecs forment la plus grande partie. Le luxe des boyards y est poussé à l'excès ; ils se promènent en calèches allemandes, et paraissent au spectacle magnifiquement parés.

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