La carrière d'Auguste Sarrou (1874-1968) est marquée par la Turquie. Il s'y rend très tôt en mission pour participer à la réorganisation de la gendarmerie ottomane avant de participer à des négociations après la Première guerre mondiale dans les années 1920.

Auguste Sarrou naquit en 1874 à Patras, en Grèce, au nord du Péloponnèse où son père était négociant et en mission pour la Compagnie générale des eaux. 

Après avoir vécu en Grèce, il fait des études au collège Saint-Benoît d’Istanbul. Il commence une carrière militaire en 1894 en s’engageant dans l’infanterie, est sergent-major en 1898.

Sa famille est connue à Montpellier ; on lit dans "Le Midi mondain, artistique, littéraire" du 12 mars 1899 :
“M. Auguste Sarrou, dont le père est originaire de Lodève, vient de sortir avec le numéro 34, sur 360 élèves officiers, de l’Ecole de Saint-Maixent. Il est entré comme sous-lieutenant au 113e d'infanterie, qui tient garnison à Paris.
Le sous-lieutenant Sarrou est né en Grèce où les circonstances de la vie avaient appelé son père, M. Benjamin Sarrou, qui réside actuellement à Galatz (Roumanie). Après de brillantes études au collège de Constantinople, le futur officier rentra en France pour accomplir son service militaire; il était bientôt admis à l’Ecole de Saint-Maixent.”

Auguste Sarrou est détaché auprès de l’armée ottomane de 1904 à 1908 pour participer à la mission internationale de réorganisation de la gendarmerie ottomane en Macédoine où les minorités grecques et bulgares s’opposent et s’opposent au gouvernement ottoman.

Sa mission n'est pas toujours facile. "Le Journal de la gendarmerie de France" du 1er juillet 1904 évoque la situation matérielle des gendarmes détachés :

"En Macédoine
Il ne faudrait pas croire que la vie que mènent nos officiers, en Macédoine, où ils ne font même pas campagne, est pleine de charmes !
Le commandant Biche-Latour, le capitaine Sarrou et le capitaine Auchery sont détachés le long de la frontière bulgare, absolument isolés, perdus au milieu de populations mélangées, de races différentes, et profondément divisées par des questions politiques et religieuses surtout.
Que l'on s'imagine ce que peut être la vie d'un Français, seul, au milieu de tout ce monde-là !
En outre, au point de vue de la vie matérielle, il faut considérer que les gens du pays vivent misérablement et que nos officiers sont dans l'obligation de faire venir de France, à grands frais, les conserves de légumes dont ils ont besoin pour vivre. Il n'existe pas, dans les Balkans, de restaurants où l'on puisse prendre pension ! Quand on considère encore les nombreuses dépenses qu'ont à supporter ces officiers, on en arrive à conclure que leur solde, qui, à première vue, peut paraître belle, est à peine suffisante.
Ils doivent avoir un interprète, car la connaissance du turc, du bulgare et du grec est indispensable, deux chevaux de selle, un pour eux et l'autre pour l'interprète, un mulet de bât pour les effets de campement. N'ayant pas d'ordonnance, il leur faut un domestique civil.
Quand à cela on ajoute les nombreux risques à courir, que le paludisme règne partout à l'état endémique, on en arrive à comprendre pourquoi les officiers russes, anglais et autrichiens continuent à recevoir, en plus de la solde ottomane, celle de leur pays d'origine, triplée même pour les Russes."

En 1909, Enver Pacha, ministre de la guerre, avec qui Sarrou s’était semble-t-il, lié d’amitié, le nomme lieutenant-colonel de l’armée ottomane. 

En 1912, il publie “La Jeune-Turquie et la révolution”, un ouvrage très détaillé sur la révolution constitutionnelle de 1908 et les réformes qui en découlent. Il y mêle récit des événements et analyse politique, ce qui montre sa bonne connaissance du terrain, du sujet et ses sympathies pour cette révolution.

Le Moniteur des consulats et du commerce international du 4 avril 1912 en rend compte :
"Les éditeurs Berger-Levrault, 5-7, rue des Beaux-Arts à Paris, viennent de faire paraître, en un volume in-12 avec 2 croquis, prix: 3 fr. 50. La Jeune Turquie et la Révolution, par M. A, Sarrou, capitaine d’infanterie hors cadre, commandant dans la gendarmerie ottomane. L’auteur de cet ouvrage habite depuis longtemps l’Orient. Il a connu les faits et les personnes dont il parle ; son livre apporte donc la réponse à une question qui intéresse vivement l’Europe entière et sur laquelle on n’a pas encore réussi à faire toute la lumière ; la Turquie a-t-elle fait des progrès sous le régime jeune-turc, et peut-on espérer le relèvement, par celui-ci, de l’Empire ottoman. Ce livre est un document historique, écrit avec une grande sincérité ; l’auteur y explique les causes de la Révolution, raconte les événements depuis la proclamation de la Constitution jusqu’au détrônement d’AbduI-Hamid et expose les réformes que la Jeune-Turquie, sous la direction du Comité « Union et Progrès », a introduites en moins de trois ans dans les différentes branches de l’administration. Le tableau ainsi présenté au lecteur est fait pour intéresser au plus haut point tous ceux qui s’occupent des choses d’Orient : historiens, diplomates, hommes politique industriels, commerçants, financiers, militaires. Par son caractère d’impartialité et de vérité, aussi bien que par l’abondance et la sûreté de ses informations, ce livre peut être considéré comme nous donnant l’histoire définitive des importants événements qui se sont déroulés en Turquie ces dernières années."

Il participe à la réorganisation de la gendarmerie et crée même à la fin de sa mission un corps de gendarmes-forestiers en Anatolie.

Pendant la guerre, il combat en Lorraine et, en 1915, dans les Dardanelles et à Salonique. Il écrit des rapports sur les activités allemandes dans la région (https://archives.saltresearch.org/handle/123456789/33389). Il est envoyé à Istanbul en mars 1919 lorsque les alliés occupent la ville.

Il assiste Henri Franklin-Bouillon (1870-1937), ancien député et ancien ministre envoyé en Turquie pour négocier avec les nationalistes turcs et Mustafa Kemal Atatürk. Ces négociations aboutiront à l’Accord d’Ankara en 1921. Sarrou fait le récit de leur voyage en Anatolie et à Ankara dans la revue “La Turquie moderne”, en 1949.

Le 31 octobre 1921, Franklin-Bouillon lui envoie d’ailleurs un télégramme transmettant les félicitations du président du Conseil, Aristide Briand, pour sa participation aux négociations de l’accord d’Angora (Archives départementales de l’Aude, Fonds Albert Sarraut, cité dans la plaquette de l’exposition “L’accord d’Angora 1921-2021”, Institut français de Turquie (https://www.ifturquie.org/wp-content/uploads/2021/11/expo-angora-pdf-fusionne-bd.pdf)

Cette négociation semble avoir généré des conflits au sein des représentants français, probablement dus à la personnalité d'Auguste Sarrou, comme en témoigne le journal "L'Homme libre" du 17 décembre 1921 :

"Constantinople, 11 décembre [1921]. — Un conflit vient d'éclater entre le haut-commissaire de France, le général Pellé et le lieutenant colonel Sarrou, négociateur, avec M. Franklin-Bouillon, du traité d'Angora. Le lieutenant-colonel Sarrou prétend échapper au contrôle direct du haut-commissariat sous le prétexte qu'en sa nouvelle qualité d'inspecteur général de la gendarmerie ottomane, il est désormais au service de la Turquie. Cette thèse n'est pas admise par le général Pellé. Des instructions ont été demandées à Paris."

En 1922, Sarrou participe aux pourparlers  entre Grecs et Turcs. L’armistice de Mudanya est signée le 11  octobre de cette année.

Il est ensuite attaché militaire de l’ambassade de France de 1925 à 1933.

A partir de cette date, il prend sa retraite et séjourne à Istanbul, fonde une Association culturelle franco-turque. Il rentre en France en 1964 et meurt en 1968 à Nice.

Sources

·    Auguste Sarrou, Le Capitaine Sarrou. Un officier français au service de l’empire ottoman : Dix ans séjour en Turquie ou la réorganisation de la gendarmerie ottomane 1904-1914 (Les Cahiers du Bosphore), Istanbul, Les éditions Isis, 2002, 104 pages : recueil de souvenirs sur sa mission en Macédoine rédigé par son fils

·    La jeune-Turquie et la révolution... (1912), Paris, Berger-Levrault, 1912, VII, 268 pages

·    « La maison historique d’Atatürk » par A. Sarrou, général du Cadre de Réserve, La Turquie moderne, Istanbul n° 26 (février 1949) pp. 28-29.

·    L’Epaulette, Les officiers français de recrutement interne : Armée de terre, Gendarmerie nationale, corps techniques et  administratifs des services communs et de l'armement : de 1875 à nos  jours, Lavauzelle, 1998

·    Archives numériques SALT :  https://archives.saltresearch.org/handle/123456789/1511
On peut y lire une partie des documents qu’Auguste Sarrou a rédigés : rapports, lettres, etc dont beaucoup concernent la Syrie et l’Algérie.

Télégramme envoyé par Franklin-Bouillon, 1925

télégramme Sarrou, 1925

Télégramme, Sarrou, 1925

Télégramme, Sarrou, 1925

Télégramme, Sarrou, 1925

Texte

sarrou attache militaire cons[tantino]ple [destinataire]

2% fr paris 19003 11 7 17

Ai promesse pour fin mois amities = franklin =

Envoyé à "Sarrou, attaché militaire" par Franklin-Bouillon, ce télégramme est postérieur à sa nomination, en 1925,  à ce poste à l’ambassade de France. On ignore de quelle promesse il s’agissait.

Télégramme envoyé par Franklin-Bouillon, le 17/08/1930

Le formulaire est en caractères latins qui ont remplacé les caractères arabes quelques années plus tôt, son design est modernisé. "Télégramme" se dit en Turc "Telsiz telgrafname" ("telsiz" signifie "sans fil".

Télégramme, Sarrou, 1930

Télégramme, Sarrou, 1930

Texte
48 PARIS 42 14 11

VOUS DEMANDE D’INTERVENIR DE FAÇON PRESSANTE ET ÉNERGIQUE POUR FAIRE ÉVINCER PAR MONOPOLE ALCOOL STAMOUL [sic] MONSIER SALOMON QUI SOLLICITE TRAVAUX DE CETTE ADMINISTRATION STOP VOUS RENSEIGNER SUR SONSON [sic] SÉJOUR PERA PALACE STAMBOUL SI SEUL OU ACCOMPAGNÉ AMITIÉS = FRANKLIN

Annotation manuscrite :

Adresse Monopole Alcools
à Galata = Kefili Han sur la quai
Parti, le 15 août, pour Milano, en compagnie
de sa femme

Ce télégramme semble solliciter une intervention qui a plus à voir avec le commerce qu’avec la diplomatie. Franklin-Bouillon, qui est alors député, demande à A. Sarrou de faire évincer un certain Monsieur Salomon qui semble vouloir travailler avec le Monople des Alcools de Turquie. Il demande même à Sarrou de le surveiller lors de son séjour au Péra Palace, un des plus célèbres hôtels dans les années 1920-1930. Veut-il essayer de le compromettre, au cas où il ne séjournerait pas avec son épouse, ou veut-il simplement savoir s’il est accompagné d’un associé ?

Archives SALT

Note sur la situation actuelle de la Turquie, 1923 

Rapport concernant un aperçu détaillé de la situation en Turquie, analysant la politique étrangère (relations avec les pays européens et extra-européens), la politique intérieure (nouvelle constitution et organisation administrative), l'état de l'armée, la situation sociale (composition de la société, modernisation du pays, la question des femmes), la situation économique et les relations particulières entre la France et la Turquie en tenant compte des aspects économiques, politiques et culturels. Le rapport suggère enfin d'autres stratégies politiques françaises à l'égard de la Turquie afin de développer l'influence de la France et de renforcer ses intérêts. 

Pour Sarrou, la France doit construire une alliance politique et militaire avec la Turquie, un traité économique particulier, une convention scolaire et religieuse, “assurant à nos institutions déjà existantes et à celles de l'avenir toute la stabilité et tout le développement utiles...”.

https://archives.saltresearch.org/handle/123456789/34391

Rapport du chef de bataillon Sarrou sur la possibilité d'une paix séparée avec la Turquie, 30 août 1917

Rapport [n.8] pour le Ministère de la Marine, Division Navale de Syrie sur la Syrie concernant la possibilité d'une paix séparée entre l'Empire ottoman et les Puissances alliées en raison de la situation militaire, politique et économique de la Turquie, dont le rapport donne une description détaillée. 

Les exigences ne sont pas loin de celles de Lausanne, peu favorables à la Turquie : cession de la Cilicie à la France, de la Mésopotamie à l’Angleterre, et de régions de l’Est, internationalisation des Détroits...

https://archives.saltresearch.org/handle/123456789/34388

Notes concernant la Turquie pendant la 1ère guerre mondiale, vers 1923

Notes concernant un aperçu de la situation en Turquie au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui se concentre particulièrement sur la nécessité d'établir un nouveau système de gouvernement de l'État et d'établir une nouvelle constitution. Ces notes traitent concernent également les relations entre la Turquie et les pays européens et extra-européens.

Le document est composé de 28 fragments qui sont probablement une traduction de discours ou de textes de Mustafa Kemal Atatürk

https://archives.saltresearch.org/handle/123456789/33395

Témoignages

"Enfin, le vieux mouktar, sortant de sa poche un portefeuille antique, en tira une carte de visite, un bristol qu'il me mit sous les yeux sans vouloir le lâcher et sur lequel je lus : Franklin-Bouillon, avec ses remerciements. Cet homme gardait ce morceau de carton comme le plus précieux de ses souvenirs. 11 avait hébergé une nuit le négociateur de l'accord d'Angora, qui regagnait la France accompagné de mon ami le colonel Sarrou, une autre idole de la Turquie nouvelle et un autre pionnier de notre influence dans le Proche Orient."

extrait de Jean Schicklin, Angora... L'aube de de la Turquie nouvelle (1919-1922), Paris, Berger-Levrault, 1922

Nous avons trouvé trace de la vente d'une des cartes de visite d'Auguste Sarrou datant de sa mission en Macédoine, dans une vente aux enchères en Turquie, en décembre 2024, avec ce texte :

"Mission française de Macédoine // Auguste Sarrou // lieutenant d'infanterie hors cadres // Capitaine de la Gendarmerie Impériale Ottomane // Turquie     Serrès"

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