En cette année 1855, Constantinople était une place commerciale importante pour les marchands européens (Français, Italiens, Anglais, Allemands, Autrichiens…) qui y vendaient et achetaient. Marseille était alors un grand port méditerranéen, d’où partaient les marchandises des maisons françaises, qui, comme Noilly, Prat et Cie, commerçaient  avec l’Orient et où arrivaient les produits provenant de l’Orient. 

Pour assurer ces échanges, quelques milliers de négociants européens étaient installés dans les grands ports ottomans (Constantinople/Istanbul, Smyrne/Izmir, Salonique, Alep, Beyrouth) et servaient d’intermédiaires pour les entreprises européennes. Il est difficile d’avoir des chiffres précis en l’absence de recensement systématique et aussi parce que l’on ne distingue pas toujours les professions d’une population étrangère dans l’empire ottoman.
Ils importaient des produits européens (souvent des produits manufacturés, textiles anglais, soieries lyonnaises, quincaillerie, verrerie, etc.) et exportaient des produits ottomans (coton, tabac, soie brute, céréales, laine, fruits secs). Ils étaient en contact avec des intermédiaires locaux, comme on le voit dans le courrier ci-dessous, où apparaissent des noms grecs ou levantins (européens installés de longue date dans l’empire ottoman), qui les mettaient en contact avec les producteurs du pays.


La lettre du 16 juillet 1855

Cette lettre rend compte de flux financiers de la société Noilly, Prat et Cie, connue pour son fameux vermouth,  et des clients, par l’intermédaire de A. Altmansfer installé à Constantinople qui représentait cette société à Constantinople, voire en Turquie. 
Les traites étaient un instrument essentiel et servaient à financer les envois, régler les fournisseurs, etc.
A noter que la lettre mentionne toujours des règlements en francs français.
Elle ne nous donne malheureusement d’informations précises ni sur les ventes de Noilly et Prat, ni sur les acheteurs.

Altmansfer, 1855

Altmansfer, 1855


“Messieurs Noilly, Prat et Cie à Marseille

Constantinople 16 juillet 1855

Je vous confirme ma lettre du 12 C[ou]r[an]t, renfermant une traite de 
Fr 970. acceptée au 10 Septembre par Mr. Scaramanga, et vous accuse réception de la votre du 4 C[ou]r[an]t, me portant l’extrait de mon compte courant, ainsi que la note de ma provision, par le prochain courrier, je vous dirai si nous marchons d’accord.
J’ai encaissé
Fr 3095,80 de Mr Cariciopulo
“ 2140      “    “     cf Belhomme
à votre credit, mais je n’ai pu me procurer des traites pour ce courrier, le prochain donc vous portera la contre-valeur.
Dans le compte de provision que vous m’avez remis je vois figurer 1 % sur les vins de Mayer, mais j'y renonce en faveur de Monsieur Racles Fourcroy attendu que ce Monsieur réclame une provision, et que sur 1% je ne puis rien lui donner
Recevez mes salutations sincères
A. Altmansfer
Ci-inclus votre traite
fr 3213   acceptée au 1 Octobre par Mr Yves Cariciopulo dont veuillez me décharger.”

Les protagonistes

Noilly et Prat, destinataires du courrier

Noilly Prat est une célèbre marque de vermouth (vin aromatisé élaboré en Italie en 1786) qui existe toujours. Louis Noilly, avec qui travaille Claude Prat, s’installe à Marseille en 1843 pour faciliter la production et l’exportation. La société Noilly Prat & Cie est créée en 1855 (https://www.noillyprat.com/fr/fr/heritage/). 
Si l’alcool était en principe interdit aux musulmans, les étrangers ou les chrétiens installés à Istanbul/Péra et à Smyrne pouvaient eux en consommer, chez eux ou dans les cafés de certains quartiers.

A. Altmansfer, représentant de Noilly Prat, expéditeur du courrier

L’auteur de cette missive est Achille Altsmansfer, dont on voit le cachet sur la lettre. Il est né le 10 août 1821 à Naples et s'est marié à Constantinople le 16 Octobre 1852, à Anne Marie Sidonie Laure Gignoux (1833-1861) (https://gw.geneanet.org/marmara2?lang=en&n=altmansfer&p=achille). Il est enterré au cimetière catholique de Feriköy avec la mention de décès le 16 avril 1894.

Sa vie est évoquée dans le livre d’Oliver Jens Schmitt, Les Levantins. Cadres de vie et identités d’un groupe ethno-confessionnel de l’Empire ottoman au "long" 19e siècle (traduction de l'allemand par Jean-François de Andria, Istanbul, Les éditions Isis, 2007) dont nous reprenons quelques informations biographiques

Achille Almansfer est un bel exemple de ces commerçants opérant dans le Levant. Fils d’un officier autrichien, Karl von Altmannshofen  et d'une Française, il est né à Naples en 1821. En 1826, sa mère et lui s’installent à Paris où il acquiert la nationalité française et modifie son nom de famille. En 1850, il est chargé de la représentation de l’entreprise Noilly Prat à Istanbul/Constantinople. Il développe ses affaires, se diversifie, il est cité dans l’Indicateur universel du commerce des tissus en 1870. Il semble avoir gagné suffisamment d’argent pour devenir rentier puisqu’il est mentionné avec ce titre dans l’Indicateur oriental en 1887. D’après le livre d’Oliver Jens Schmitt., il devint même représentant français au tribunal de commerce.

Documents sur Achille Altmansfer

En 1850 et 1851, il est cité dans le Nouvel indicateur marseillais, ou Guide du commerce pour l'année...  publié par Pierre Blanc, Marseille, 1850 et 1851  

“Altmansfer, Achille, Commission et consignation, rue Breteuil, 29 [Marseille]”

En 1866, on le trouve comme représentant d’un parfumeur, dans l’Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la  magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses  de Paris, des départements et des pays étrangers, Firmin Didot et  Bottin réunis, 1866

“Semeria (D. ) et Cie, ancienne maison H. Rimmel, parf. distillateurs, usine à vapeur, matières premières de parfumerie, spécialité de parfums à la violette et eaux de feurs d’orangers, 16. route de Turin, représenté à Bordeaux par L. Larache, 8, place des Cordeliers; à Nîmes, par T. Boujige, boulev. des Arènes; à Marseille, par Gibert de Mazitelli, rue Sainte ; à New-York, par Haskell ; à Constantinople, par A. Altmansfer, et à la succursale à Paris, r.Grenelle-St-Honoré,16, pour l’exportation.”

En 1870, il s’occupe de textiles. Il est cité dans l’Indicateur universel du commerce des tissus en général, soie,  coton, fil, laine, dorure, etc., et des industries qui s'y  rattachent contenant l’adresse des fabricants et marchands... publié par Jules Benoît... , au "Moniteur des soies" (Lyon), 1870  

"Turquie, Constantinople : Altmansfer (A.), à Galata (français)"

En 1887, Indicateur oriental: annuaire du commerce, de l'industrie, de l’administration et de la magistrature, Volume 7, 1887

“Achille Altmansfer, rentier, grande rue de Pancaldi”

Scaramanga

La famille Scaramanga d’origine grecque d’Asie Mineure était impliquée dans le commerce dans l’Empire ottoman. On trouve trace, à Trieste en Italie, d’un George (Nicolas) Scaramanga né dans l’île de Chios (https://christopherlong.co.uk/gen/relationsgen/fg04/fg04_071.html). 
Belhomme
Le nom Belhomme apparaît dans un arbre généalogique levantin : on trouve un  “Belhomme, Félix”, négociant, né à Edirne en 1801, mort à Constantinople en 1873 (https://www.levantineheritage.com/belhomme.htm). Cela pourrait correspondre à un négociant opérant à Constantinople au milieu du XIXᵉ siècle. Il est donc probable que ce Belhomme soit le débiteur mentionné dans notre lettre.

Fourcroy

On ne trouve pas trace de ce nom dans les milieux levantins.

Cariciopulo / Yves Cariciopulo

On ne trouve pas de mention de ce nom à consonnance grecque, mais on trouve le nom Carichiopulo, originaire de Smyrne.

Altmansfer, 1855

Altmansfer, 1855

A lire

* Oliver Jens Schmitt, Les Levantins. Cadres de vie et identités d’un groupe ethno-confessionnel de l’Empire ottoman au "long" 19e siècle, traduction de l'allemand par Jean-François de Andria, Istanbul, Les éditions Isis, 2007.

* Morineau Michel. Naissance d'une domination. Marchands Européens, marchands et marchés du Levant aux XVIIIe et XIXe siècles. In: Cahiers de la Méditerranée, hors série n°1, 1976. Commerce de gros, commerce de détail dans les pays méditerranéens (XVIe-XIXe siècles). Actes des journées d'études Bendor, 25-26 avril 1975. pp. 145-184,  DOI : https://doi.org/10.3406/camed.1976.1485, https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1976_hos_1_1_1485

Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
Unknown
Unknown
Accepter
Décliner
Analytique
Outils utilisés pour analyser les données de navigation et mesurer l'efficacité du site internet afin de comprendre son fonctionnement.
Google Analytics
Accepter
Décliner