Texte daté de 1828,  tentative de constituer des règles de transcription en caractères latins des mots turcs écrits en caractères arabes. On comprend, au vu des complications introduites, que les réformateurs de la langue turque aient renoncé, un siècle plus tard, à s'inspirer du Français.
On notera l'absence de réflexion sur la transcription du "i sans point" turc (ı, utilisé dans Topkapi par exemple) qui devait poser problème.

extrait de Andreossy, Constantinople et le Bosphore de Thrace, 1828

M. du Caurroy s'étant trouvé à Paris lors de l'impression de mon Voyage à l'embouchure de la Mer noire, avait bien voulu prendre la peine d'en revoir les épreuves, et il avait été amené à rédiger les observations qu'on va lire, et qui m'ont paru du plus grand intérêt.

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J'ai été témoin, M. le comte, de l'attention scrupuleuse que vous avez mise à Constantinople à vous assurer de la véritable prononciation des mots turcs. A en juger par les ouvrages qui ont été publiés sur le Levant jusque dans ces dernières années, on doit croire que l'exactitude sur ce point est ce qu'il y a de plus difficile à obtenir. Il n'en existe point en effet où les différents mots turcs que l'on est obligé d'y employer ne soient tellement défigurés qu'il est impossible de les reconnaître. Ceux des mots qui, de ces ouvrages, ont passé dans notre langue n'y sont entrés qu'avec cette altération. Depuis quelque temps cependant il en est quelques-uns, quoiqu'en petit nombre, que l'on a rectifiés, tel que le mot Koran au lieu d'Alkoran, non que le mot substitué soit encore de la dernière exactitude, mais on peut s'en contenter.
Malgré les soins particuliers que vous vous êtes donnés, et qui mériteraient que votre ouvrage sur le Levant fit autorité à cet égard, une poartie des mots turcs qui se rencontrent dans les différents cahiers que vous avez bien voulu me confier ne pourraient être lus en français comme on les prononce dans la langue à laquelle ils appartiennent. Ce défaut tient à un mauvais système d'orthographe, ou plutôt de transcription, sur lequel je me permettrais les observations suivantes :
MLes Turcs ont un grand nombre de lettres correspondant absolument aux nôtres. Cependant l'usage que l'on peut faire de ces dernières pour représenter les mots turcs exige la plus grande attention ; par exemple :

1°. Les Turcs ont notre "s", mais comme chez nous cette lettre entre deux voyelles a le son de "z", l'on pourrait les prendre l'une pour l'autre dans le cas où la première se trouverait seule, et qu'il s'agirait de rendre le son primitif de l's. Dans ce cas on éprouve aussi le double inconvénient d'être exposé à croire que l'on doit prononcer deux "s" quand on n'en devrait prononcer qu'une, ou de ne pouvoir représenter le double son de l's quand la prononciation exige qu'on double cette lettre. Ainsi, par exemple, l'on pourra prononcer "agassi" en faisant sonner les deux "s" quand il n'y en a qu'une, et "khassèki" avec une seule "s" quand il y en a deux. Le remède à cet inconvénient serait d'écrire le son de "s" par c, avec ou sans cédille dans le cas où l's se trouverait entre deux voyelles ; et dans le cas où l'on aurait une "s" redoublée l'on écrirait "sc" ; ainsi l'on aurait "agaci", "haçan", et "khasceki"  se prononcerait comme "ascendant". De cette manière il ne pourrait y avoir d'erreur.

2°. Les Turcs ont le son de notre lettre "q" ; nul inconvénient à le représenter par "c" devant a, o, u, mais on ne le pourrait faire devant e, i ; si pourtant on mettait un "k" l'on n'aurait plus de difficulté : le "k" a d'ailleurs pour des Français l'avantage d'indiquer un mot étranger.
[NOTE : Les auteurs de quelques grammaires turques modernes, n'ont pas cru devoir être arrêtés par la répugnance que nous éprouvons à employer cette lettre dépourvue de l'u qui la suit toujours en Français, et l'ont placée seulr devant le e ou i, pour indiquer le son qu'elle représente dans la langue turque. Le "k" a été réservé pour rendre un son analogue, mais qui est exprimé par une lettre différente. Ainsi ils écrivent de la manière suivante le mot "qelidj" et "kefil". Cette manière est en effet la plus simple pour représenter des sons homogènes de mots dont l'orthographe est différente.]

3°. Ils ont le son de notre "g" devant les voyelles a, o, u. Mais comment faire quand le même son sera suivi d'un "e" ou d'un "i" ? Je n'y vois d'autre remède que de faire dans ce cas suivre le "g" d'une "h", parce qu'en français "gh" a toujours le son du "g" suivi de "a" ; ainsi l'on écrira "ghèlmek", "ghitmek". La lettre "u" mise après le "g" ne peut remplir le même office dune manière sûre, parce qu'on ne saurait si l'on doit ou non prononcer cet "u" ; ce qui arrive souvent en Français où l'on prononce "anguille" et "aiguille" différemment
[NOTE : Les Turcs ont en effet le son de notre "g" devant a, o, u ; mais ce son étant souvent exprimé par deux lettres différentes, on pourrait peut-être les confondre en se servant trop indistinctement du "gh" pour rendre le son que ces deux lettres représentent. Ainsi les mots "agha" et "ghelmek" ont bien des sons analogues, mais les lettres dont ces mots se composent ne sont pas les mêmes. C'est probablement pour éciter une confusion nuisible à l'orthographe, que Viguier et autres grammairiens turcs ont placé un "u" après le "g" dans une partie des mots dont il s'agit. Si l'inconvénient dont parle M. du Caurroy ne les a pas arrêtés, c'est qu'ils ont pensé qu'en écrivant de la manière suivante les mots turcs "guelmek" et "guitmek", on sera plus généralement porté à les lire conformément à leur vraie prononciation, quà les articuler gu-elmek et gu-itmek. Nous prononçons tous les jours guide et non gu-ide ; guerre et non gu-erre. Le mot "aiguille" et quelques autres que l'on pourrait encore citer, ne sont que des exceptions à la manière générale de prononcer.]

4°. Ils ont notre "j", que je proposerai d'employer seul pour cet usage, et jamais le "g", puisque le "j" suffit.

5°. On trouve dans la langue turque la même consonne que nous avons dans le mot "baïonnette". Je propose de la représenter de même par l'ï tréma et non par l'y, qui pourrait présenter de l'incertitude, car l'y dans payer n'a pas le son de l'ï dans "baïonnette", mais représente ii.

6°. Enfin la lettre n n'a point de son nasal que le lecteur français sera toujours trop disposé à lui donner. Je ne vois pas le moyen d'éviter cet inconvénient, qui après tout n'est pas d'une grande conséquence pour la plupart des mots. Ainsi l'on dira kouran, kurdistan, etc., sans faire sonner l'n ; on y ets accoutumé : il n'en serait pourtant pas absolument de même dans certains mots qui seraient défigurés à ne pas les reconnaître en leur donnant un son nasal, tels que "ma-beindji", "amin", etc. Mais, je le répète, je n'y vois guère de remède.
[NOTE : ne pourrait-on pas, pour éviter le son nasal que les Français sont disposés à donner à l'n, rendre ce même son par deux nn, ainsi que l'a fait Mouradja d'Ohsson dans le mot qu'il écrit "Kourann" au lieu de "kouran", "éminné au lieu de "Emin" ?]

7°. Les Turcs ont des lettres qui représentent plusieurs de nos consonnes réunies, telles que le "tchim" et "djim", qui répondent la première, à notre t suivi de ch, et la seconde, à notre d suivi d'un j : ces lettres n'offriront aucune difficulté de lecture en les représentant par ces caractères  "tch" et "dj" ; mais un Français les lira mal, quand, écrits par un Italien, au lieu de "tchaouch", par exemple, on aura "ciaus", au lieu de "iènitcheri" on aura "jeniceri". Si c'est un Grec qui veuille les représenter, comme il n'a pas dans sa langue le "ch", il prononcera et écrira "tziaous", "ïenitseri".

8°. Il est enfin des lettres qui n'ont pas chez nous leurs homogènes, mais dont une partie se trouve dans d'autres langues ; ainsi le "chi" des Grecs, suivi de a, o, u représente une des lettres turques, de même que leur gamma, qui n'est pas notre simple g. Ce sont des espèces de k et g très grasseyés. Je proposerai de les représenter soit par la lettre grecque, ce qui avertirait au moins que ce ne sont pas des simples  k et g, soit par kr, gr, ce qui aurait à la fois l'avantage de mettre sur la voie de la vraie prononciation. Le pis-aller serait qu'on n'y prit pas garde, et qu'on prononçât purement et simplement k et g. Quoi qu'il en soit, ces deux méthodes valent mieux que celles adoptées d'écrire kh, gh, qui n'indiquent par l'h additionnelle aucune modification que puisse comprendre ou même soupçonner le lecteur français, lequel, dans ce cas, ne prononce que k et g purs, et rend absolument nulle l'addition de la lettre h ; à plus forte raison les combinaisons que je propose valent-elles mieux que la simple h qu'on rencontre employée à cet usage presque partout, et qui, en français, n'est pas prononcée.
[NOTE : il y aurait peut-être plus d'inconvénient que d'avantage à se servir des lettres chi et gamma [grecques] pour rendre les sons de la langue turque exprimés par les lettres h, kh et gh. Les personnes qui savent le Grec pourraient peut-être s'y reconnaître, tandis que la seule vue de signes étrangers combinés avec les lettres de notre alphabet dérouterait le reste des lecteurs.

Il est en Turc un k et un g à la suite desquels sonne toujours un "i" très léger et ne formant qu'une diphtongue avec la voyelle suivante. Il faut absolument indiquer cet "i" : si on l'écrit après le "k" et le "g", on sera exposé à ce que le lecteur le prononce en deux syllabes ; ainsi il pourra arriver qu'on lise "ki-a-fir", "ghi-a-our" au lieu de "kia-fir", "ghia-our" ; peut-être vaudrait-il mieux qu'un petit "i" supérieur indiquât cette voyelle, de même que les petites notes d'agrément dans la musique indiquent des sons à produire, sans que ces notes fassent partie de la mesure. Au reste, on peut choisir entre les deux moyens ; mais il faut absolument en arrêter un, car il serait contraire à la prononciation turque de dire "kafir", "gaour".
[NOTE : il est vrai que les Turcs prononcent "kiafir", "ghiaour" ; mais les Arabes et les Persans qui emploient également ces noms et un grand nombre d'autres où cette lettre k ou g existe, prononcent "gaour" et "kafir", sans faire sentir le son "i" comme les Turcs. (Note de M. Jouannin)]

Il est encore d'autres lettres turques qui s'éloignent un peu des nôtres dans la prononciation, mais que l'usage même confond très souvent ; ainsi le thêta des Grecs, qui existe dans leur alphabet, n'est pas distingué communément d'une "s", etc ; il suffira enfin, pour les lettres appelées "hemzè" et "aïn", de mettre une ' (apostrophe) pour indiquer leur présence, que rien chez nous ne peut représenter, et dont la modification, très adoucie par les Turcs, reste à peine sensible pour nos oreilles françaises.

Il est une dernière observation relative à l'orthographe à adopter ; c'est de ne jamais mettre l's au pluriel à la fin des mots turcs, pour ne pas exposer les lecteurs à prononcer cette lettre quand elle ne doit pas l'être. Cette méthode se trouve d'ailleurs conforme aux règles de notre orthographe.

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