Le thème de l'athéisme dans l'empire ottoman a attiré l'attention de quelques auteurs, mais il ne s'agit généralement pas de spécialistes et leurs sources ne sont pas très fiables. Hammer qui, lui, a consulté les sources ottomanes nous parle de plusieurs procès, mais plus pour hétérodoxie que pour athéisme.

Lady Montagu (1689-1762), qui séjourna longtemps en Turquie, critique l'historien et diplomate Paul Rycaut (1628-1700), auteur de l'"Histoire de l’état présent de l’Empire ottoman" et explique qui sont ces Muterin dont parlent avant elle quelques historiens en les considérant comme des athées. Elle raconte sa rencontre avec l'un de ces dissidents qui boivent le vin et mettent en doute certains préceptes du Coran.
Mais les témoignages évoquant de vrais athées sont très rares, comme c'est le cas dans les pays chrétiens à cette époque.

J. F. Bernard, Histoire des religions et des moeurs de tous les peuples du monde, Volume 4, 1819

(page 58)
Il y a une secte d'Athées, connue sous le titre de Muserrins, qui veut dire à peu-près, le véritable secret est parmi nous. Ce secret n'est autre chose que de nier absolument la divinité, et de croire que c'est la nature, ou le principe interne de chaque être, qui conduit le cours si réglé des choses que nous considérons tous les jours avec tant d'admiration. C'est de là, disent-ils, que, le soleil, la lune et les étoiles tirent leur origine et leur mouvement. C'est ce qui fait que l'homme germe, lève et se flétrit, comme l'herbe et comme les fleurs. Il y a à Constantinople un nombre si prodigieux de gens qui soutiennent ce principe, que cela est capable de donner de l'étonnement. La plupart de ces hommes sont des Cadis et des personnes savantes dans les livres des Arabes. Les autres sont des Chrétiens renégats, qui, pour éviter les remords qu'ils sentent de leur apostasie, s'efforcent de se persuader qu'il n'y a rien à craindre ni à espérer après la mort. Je me souviens qu'un homme de cette secte, nommé Mahomet-Effendi, qui était fort riche et fort bien instruit dans les sciences orientales, fut exécuté pendant que j'étais à Constantinople, pour avoir imprudemment parlé contre l'existence de Dieu. Il avait coutume d'employer cet argument pour appuyer son opinion : Ou il n'y a point de Dieu, disait-il, ou il n'est ni si sage, ni si prudent que nos docteurs nous le prêchent ; car, autrement, il ne souffrirait pas que je vécusse, moi qui suis le plus grand ennemi qu'il ait au monde, et qui me raille de sa divinité. C'est une chose remarquable que cet homme, pouvant sauver sa vie en confessant son erreur et en promettant d'y renoncer pour l'avenir, aima mieux persister dans ses blasphèmes, parce que, disait-il , quoiqu'il n'eût aucune récompense à attendre, néanmoins l'amour de la Vérité l'obligeait à souffrir le martyre pour la défendre.
Cette doctrine s'est insinuée jusques dans le sérail, et a infecté l'appartement des femmes et des eunuques. Elle s'est aussi introduite chez les Pachas et dans toute la cour. Les partisans de cette secte ont une amitié extraordinaire les uns pour les autres, et se rendent mutuellement toutes sortes de bons offices. Ils sont civils et hospitaliers, et, si par hasard il leur arrive un hôte qui soit de leur sentiment, ils lui font la meilleure chère qui leur est possible ; ils parlent à lui avec franchise, et, après lui avoir fat toutes les caresses imaginables, ils le laissent avec une belle personne du sexe qu'il aime le mieux, pour lui faire passer la nuit avec plus de Satisfaction. On dit que sultan Morat (Murat) favorisait fort cette opinion dans sa Cour et dans son armée.

Lettre XXVIII de Mme Montagu, 1er avril 1717

(Traduction de l'édition Bailly, 1795)
Le Mahométisme est divisé en autant de sectes que le Christianisme ;  sa première institution est fort altérée, elle a été obscurcie par les interprètes, et je ne puis m'empêcher de reconnaître, que c'est une inclination naturelle à tous les hommes, que le goût pour les mystères et pour les nouveautés ; les Zeidi, les Kudi, les Jabaris etc, me représentent parmi les chrétiens les Catholiques, les Luthériens, les Calvinistes ; ils sont les uns et les autres respectivement ennemis zélés !
L'opinion qui prévaut parmi les Effendis , si j'ai bien pénétré Achmet, c'est le pur Déisme , mais ils cachent cette doctrine au peuple, qu'ils ont soin d'abuser par mille notions diverses, suivant leurs différens intérêts. II y en a bien peu parmi eux, et même Achmet prétend qu'il n'y en pas, qui soient assez dépourvus de sens pour se persuader qu'il n'y a point de Dieu. Sir Paul Ricaut s'est trompé, comme cela lui arrive souvent, en donnant le nom d'Athées aux sectaires de Muterin, (c'est-à-dire le secret entre nous). Ce sont des déistes, dont l'impiété ne consiste qu'à donner quelques ridicules au prophète. Achmet ne m'a pas dit positivement que ce fût son opinion , mais il ne se fait aucun scrupule de s'écarter en bien des choses de la loi de Mahomet. Il boit du vin aussi volontiers que nous ; je lui demandai comment il en était venu à se le permettre ; il me répondit que tout ce que Dieu a créé est bon, et est destiné à l'usage de l'homme ; qu'il n'en croyait pas moins la défense de boire du vin un précepte fort sage, mais fait pour le peuplé parmi lequel l'usage de cette liqueur occasionne si souvent des désordres ; que le prophète n'avait jamais eu dessein de l'interdire tout-à-fait, mais seulement d'indiquer qu'il faut en faire un usage très-modéré ; qu'au reste il pensait qu'on devait éviter à cet égard tout scandale, et n'en boire jamais en public. Telle est la maniere de penser la plus ordinaire parmi eux, et ils ont bien moins de crainte de boire du vin, que de difficulté à s'en procurer. Il m'a assuré que , si j'entendais l'Arabe, j'aurais beaucoup de plaisir à lire le Coran, que loin qu'il soit rempli de toutes les absurdités qu'on lui reproche, on y trouve la morale la plus pure, et dans le style plus noble.


Hammer, Histoire de l'empire ottoman, tome XI (1656-1676)

(page 205)
A Andrinople, d'autres parties de chasse avaient succédé à celle de Yanboli ; le Sultan se livrait comme toujours à cet exercice, on se délectait à contempler un éléphant aux prises avec des chiens de chasse, à admirer des tours de bateleurs ou l'adresse de ses pages à lancer le djirid. Toutefois un événement qui préoccupa toute la capitale produisit également quelque impression sur Mohammed IV [Mehmet IV, 1648-1687]. Un athée fut condamné à mort et exécuté en vertu d'un fetwa émané du juge de Constantinople, en l'absence du moufti, alors à Andrinople. Mohammed Lari, Persan d'origine, à ce que l'on disait, et qui demeurait au khan de Walidé [Valide], avait nié le jugement dernier, l'obligation de jeûner et de prier cinq fois par jour. Le juge de Constantinople, "doué d'une foi robuste, mais d'un faible savoir" beaucoup moins versé en législation qu'en musique et en calligraphie, porta contre lui un fetwa dont l'exécution "fut un hommage rendu à la loi du Prophète et à la foi mahométane." (24 février 1665 - 6 schâban 1075). Peu de temps après, le marchand de lait Beschir, accusé de sympathie pour la doctrine de Hamza, l'apôtre des Druzes, fut également exécuté à Constantinople.

Le Sultan, qui venait de confier à un écrivain distingué de l'époque, Abdi, page de la chambre intérieure, la mission de rédiger les annales de son règne, lui remit le procès-verbal, dressé en justice, de l'exécution de Mohammed Lari, en lui ordonnant de consigner cet événement dans son histoire.

Hammer, Histoire de l'empire ottoman, Tome XII (1676-1699)

"Toutes ces exécutions doivent être imputées au grand-vizir, mais celle de Patbourounzadé Mohammed , l'un des aides de la première chambre du registre, fut uniquement l'œuvre du fanatique Beyazizadé, grand-juge, celui-là même qui fit lapider la femme adultère dont nous avons raconté la fin tragique et qui avait voué une haine profonde à Patbourounzadé. Ce dernier était un joyeux personnage qui avait le défaut de n'être réservé, ni dans ses actions, ni dans son langage. Quelques copistes de la chancellerie l'avaient dénoncé au moufti comme athée pour avoir tenu quelques propos inconsidérés; Patbourounzadé étant venu se justifier et protester de son orthodoxie, ce magistrat lui donna l'assurance que la déposition de témoins aussi suspects que ceux qui l'avaient accusé ne suffisait pas pour ternir la réputation d'un homme qui remplissait exactement les devoirs de sa religion. Mais le grand-juge Beyazizadé aux dépens duquel il s'était égayé, à l'occasion du supplice infligé à la femme adultère, parvint à le faire condamner à mort comme athée en invoquant le témoignage de ces mêmes copistes, qui avaient déjà déposé contre lui. Cette sentence fut exécutée en présence du Sultan, et à la grande joie d'une populace fanatique, tandis que les gens de bien maudissaient Beyazizadé, qui à dater de ce jour devint l'objet du mépris et de la haine universels (24 août 1681 - 9 schâban 1099). Peu de temps après, l'un de ceux qui avaient fait condamner Patbourounzadé fut assassiné par sa servante; un autre tomba dans la plus profonde misère et l'opinion publique vit dans ces deux événemens un juste châtiment de Dieu; il faut même dire à la louange de Raschid et de tous les autres historiographes de l'empire, qu'ils blâmèrent unanimement le fanatisme de Beyazizadé, en soutenant avec raison que l'autorité de la loi s'étend sur les actions, mais non sur les pensées ; que le juge ne peut prononcer que sur les actes extérieurs et que Dieu seul a le droit de sonder les mystères de la conscience humaine."

A noter que la lapidation d'une femme adultère citée ici est la seule connue dans l'empire ottoman.


Dictionnaire des athées anciens et modernes, 1833

TURC (un Poète) a dit : Dieu est lui-même l'intérieur et l'extérieur de tout ; tout est en lui. N. B. Ce poète est spinosiste.
TURQUIE. Les Athées ont formé une secte nombreuse en Turquie, qui est composée pour la plupart de Cadis et de personnes savantes dans les livres Arabes. Ricaut.


Revue de Paris, 1832

L'incrédulité subissant la torture en l'honneur du néant ! Le fait peut paraître hors de toute vraisemblance, mais le lecteur sait et se rappelle (car un lecteur doit tout savoir et tout se rappeler) qu'il existe depuis long-temps en Turquie une secte d'athées sous la dénomination de muserrins, laquelle secte a son martyrologe assez bien fourni. Il y a peu d'années encore que l'un de ces sectaires, le savant Mohammed-effendi, aima mieux mourir dans les supplices que de prononcer ces mots : Dieu existe.

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