La mosquée d'Eyüp à Istanbul fut la première mosquée construite après la Conquête par Mehmet II. Elle fut terminée en 1459, six ans après la prise de Constantinople, à l'emplacement du supposé tombeau d'Eyüp Ensari, de son nom Khalid bin Zeyd, compagnon du Prophète, qui mourut en 670 lors du siège de la capitale byzantine par les arabes.
La mosquée fut agrandie en 1591 et les deux minarets remplacés pour y placer des croissants comme le voulait un nouveau firman. Tombée en ruines, elle fut démolie en 1798 et reconstruite.
Les sultans s'y rendaient lors de leur avènement pour ceindre l'épée d'Osman, le fondateur de la dynastie ottomane.
La cour de la mosquée où se trouve une fontaine octogonale aux ablutions fut souvent photographiée, comme en témoignent les documents ci-dessous. Cette cour accueille toujours de nombreux visiteurs dont les jeunes garçons le jour de la cérémonie de circoncision.
Carte postale, Cour de la Mosquée du Sultan Eyoup, vers 1900 (pas de mention d'éditeur)
Carte postale, vers 1900
Femmes dans la mosquée d'Eyüp, début de XXe siècle
Carte postale, vers 1950
Carte postale, vers 1940
Photographie, vers 1950
Localisation
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Thomas Allom, L'Empire Ottoman illustré. Constantinople ancienne et moderne, 1850
La Mosquée d'Eyoub
En longeant la rive de Stamboul jusqu'au fond de la Corne d'Or, on arrive au bourg d'Eyoub, où s'élève la mosquée de ce nom. C'est là que le Sultan, en montant sur le trône vient ceindre le sabre d'Osman. Rien de plus magnifique que l'aspect de Constantinople dans ce moment. L'aurore du jour est saluée par le mugissement de cent bouches à feu. Une multitude de navires appartenant à cent nations différentes, tous pavoisés et tous rangés dans la circonférence du Croissant d'Or répondent par leurs décharges à celles qui grondent simultanément à la Tophana et au sérail. Alors s'élèvent vers les cieux d'épais nuages de fumée, et çà et là, à travers leurs déchirures on aperçoit comme dans les visions d'un songe, des fragmens de mosquées, de fortifications, des minarets, des maisons rouges, des jardins d'un vert sombre, des cimetières couverts de hauts cyprès qui au milieu de leurs encadremens de fumée paraissent bizarrement entassés les uns sur les autres. Le medium vaporeux, à travers lequel on les voit, leur donne un aspect colossal; on dirait une terre de féerie où tout est dans des proportions inaccoutumées et gigantesques.
Dès le matin, la population de Constantinople tout entière se presse vers le lieu où doit passer le cortège. Tout présente un air de fête, d'attente, et de joie; les Turcs marchent d'un pas plus vif que de coutume, la gravité ordinaire des physionomies s'est épanouie; on n'apperçoit ni pauvres, ni haillons. Voici la description du cortège telle que nous la transmise un témoins oculaire, et qui correspond parfaitement à la belle planche annexée à ce sujet.
" Les grands de l'empire," dit le narrateur, "parurent à mes yeux comme un nuage d'or. Je ne trouvais dans mes souvenirs rien de comparable à la magnificence de leurs broderies et de leurs vêtemens, que celle du sénateur romain dans sa gloire, suivant le pape, le jour de Pâques, sur les marches du trône pontifical. Tous ces costumes ont été empruntés à la cour des empereurs grecs. On ne voit pas à Constantinople d'autres voitures que les litières (akabas) destinées aux harems et les chars attelés de buffles très en faveur chez les Arméniens. Aussi chacun de ces grands personnages m'était-il facilement indiqué à mesure qu'il passait à cheval devant moi. Ce gouvernement à cheval sied au surplus à un peuple guerrier et à une cour qui vivait sous la tente avant d'habiter des palais. Tous les ministres de Sa Hautesse paraissaient aussi convaincus de leur importance, que s'ils n'eussent jamais dû sortir de place; erreur commune aux ministres de tous les pays. Parmi eux, ce fut principalement le muphti, l'ulema, et le kislar-aga, qui me fascinèrent. Il faut venir en Turquie pour voir trois personnages aussi dissemblables, réunis et marcher de conserve. Imaginez le chancelier et le primat d'Angleterre accolés à qui ? - Au chef des eunuques noirs ! Ce fut ce dernier qui attira le plus mon attention: il me parut le plus laid et le plus curieux des trois. Représentez-vous une espèce de Caliban, ramassé et court, avec une tête d'une grosseur monstrueuse, des yeux jaunes comme une idole de la Mer du Sud, et une physionomie à la fois épaisse et rechignée, fière, solennelle et assoupie. Après le sultan. c'est lui qui a le plus grand harem de l'empire; anomalie qui fera sans doute sourire ici, mais à laquelle on est fait à Constantinople. Le muphti eût été un modèle pour les archevêques. A la vérité il ne portait pas de perruque: mais il avait une grande barbe qui, comme toutes ses décisions, lui appartenait en propre. Derrière, s'avançait le reis-efiendi, ou ministre des affaires étrangères. Après ce ministre parut le grand visir; mais malgré tout l'éclat qui l'environnait, j'y fis peu d'attention, car il était en quelque sorte, perdu au milieu des rayons de la gloire de son maître.
" Je le vis enfin celui que j'attendais avec une curiosité si impatiente! Sa présence me fut annoncée non par des acclamations, mais par un profond silence, une vénération muette, qui, au milieu de toute cette multitude, me parurent plus imposans que ces cris dont l'Europe occidentale salue ses rois. Assurément la fortune ne s'était pas trompée en donnant l'empire à celui que j'avais alors devant les yeux: tout en lui, fesait pressentir le caractère fier et inébranlable qu'il a manifesté depuis. Son œil enfoncé et pénétrant, était rempli de majesté ; son nez, légèrement relevé, indiquait de la résolution et de l'audace; il y avait quelque chose dîmpérieux dans la contraction de ses lèvres, que l'on apercevait difficilement parmi les flots de sa longue barbe noire. Sa physionomie calme, concentrée, qui n'avait dans aucun pli, l'empreinte des passions humaines, formée dans le plus beau moule, était d'un ton olive parfaitement uniforme; nulle trace de la circulation du sang ne s'y faisait apercevoir. Ce n'était que par momens, dans ses yeux, d'où elle s'échappait comme par gerbe, que se peignait l'énergie de son ame; tout le reste était sévère, pâle, immobile comme la mort. On voyait qu'il commandait à des millions d'hommes, et qu'il le sentait. Ce beau cheval arabe qui frémissait sous lui, et dont il contenait l'ardeur de sa main puissante, me semblait être le symbole du peuple soumis à son frein. Il s'avançait comme le roi des rois, comme le maître des hommes. Quand il passait devant eux, ses sujets se voilaient le visage, ou portaient les mains à leurs yeux, afin de ne pas être éblouis par l'éclat de Sa Majesté. Son costume était d'une simplicité magnifique; l'aigrette de diamans et la martre noire étaient les seuls signes de sa dignité suprême. Devant lui marchait son trésorier, qui jetait au peuple des paras nouvellement monnayés, et dont quelques-uns vinrent m'atteindre au visage; et, derrière, son secrétaire, qui recevait dans un portefeuille jaune les requêtes qu'on présentait au Sultan. L'escorte qui l'entourait était sa garde favorite: les casques de cette escorte, autres reste des pompes du Bas-Empire, ajoutaient encore, par leur magnificence bizarre, à l'éclat de cette solennité. Le cortège se terminait par des détachemens de troupes. Il était rentré au sérail, que j'étais encore tout ému de ce luxe de 1'Orient, dont l'Europe occidentale est bien loin de pouvoir offrir l'équivalent. La pompe insolite, imposante, que je venais de voir m'avait fait un effet analogue à celui de ces musiques qui continuent de vibrer dans l'ame, quand elles ont déjà cessé de résonner à l'oreille."