Portrait d'un sultan qui tenta de lancer des réformes, mais fut entraîné dans des conflits incessants et tué lors d'un révolte des janissaires.

SELIM III, empereur ottoman, né le 24 décembre 1761, était fils du sultan Abdulhamid Ier, et succéda à son père le 7 avril 1789. En montant sur le trône, il trouva la Turquie engagée dans une guerre dangereuse contre la Russie et l'Autriche. Les troupes ottomanes, sous la conduite du brave vizir Jussuff, pacha, avaient remporté quelques avantages sur les Autrichiens, commandés par l'empereur Joseph II en personne et par le feld-maréchal Lascy ; mais ces succès furent bientôt suivis par de terribles revers. Vainement Selim avait-il augmenté de plus de 150000 hommes de nouvelles levées son état militaire, affaibli pendant les dernières campagnes, ses armées de terre et de mer furent battues par les généraux autrichiens Laudon, et Lascy, par les généraux russes Repnin, Potemkin, Suwarow et Nassau. Les fortes places de Belgrade et d'Orsowa furent emportées par les Autrichiens; Ismaïl le fut par Sawarow, qui passa sur les cadavres de 15000 Turcs, et Oczakow par Potemkin , qui en fit égorger 25000. La marine ottomane fut presque entièrement détruite, et le malheureux despote, suivant le funeste exemple de ses prédécesseurs, se crut encore obligé de donner, du fond de son sérail, l'ordre de décapiter le plus brave de ses guerriers, le meilleur appui de l'empire du croissant, son vieux et fidèle capitan-pacha Hassan , qui n'avait pu résister aux forces supérieures de la marine russe. Enfin, sous la médiation de l'Angleterre et de la Prusse, qui avaient suscité cette guerre désastreuse , Selim obtint enfin des vainqueurs la paix dite de Jassy, qui fut signée le 4 août 1791. La Sublime-Porte perdit, par ce traité, tout le territoire situé entre le Bog et le Dniester et la place d'Oczakow : elle fut forcée d'accorder aux vaisseaux de guerre russes le passage du détroit des Dardanelles , ainsi que la libre navigation dans la mer Noire. De grands avantages commerciaux furent en outre assurés aux sujets de cette puissance, et, sous le pavillon russe, des bâtimens étrangers de plusieurs nations, et particulièrement des Grecs de l'Archipel , trouvèrent une protection efficace. Le règne de Selim, commencé sous d'aussi funestes auspices, n'offrit, jusqu'à la sanglante catastrophe qui le termina, qu'une suite peu interrompue de revers.

La puissance ottomane, déjà considérablement affaiblie par cette première guerre contre l'Autriche et la Russie, souffrit encore de plus violentes atteintes dans les trois parties du monde, où s'étendaient ses domaines ; en Asie, par la révolte ouverte ou par la désobéissance secrète et l'indépendance réelle des pachas de Bassora , de Bagdad, d'Alep, de Saint-Jean d'Acre, et surtout par l'insurrection formidable des Wechabites ; en Afrique, par la conquête de l'Egypte, soumise pendant quelques années aux armes françaises; et enfin, en Europe, par la rébellion de Passwan-Oglou , par le soulèvement des Serviens sous Czerni-Georges, par des insurrections partielles sur plusieurs points de la Turquie européenne, et par les troubles de la Morée. Ces derniers furent, à la vérité, étouffés dans le sang, après que les agens secrets d'une grande puissance, premiers instigateurs de ces troubles eurent abandonné et trahi les malheureux Grecs. Des hordes albanaises furent chargées de la vengeance des Turcs, et s'acquittèrent de cette mission avec une barbarie qui se renouvellerait sans  doute aujourd'hui, si les Grecs succombaient de nouveau dans leur lutte avec leurs implacables ennemis. Mais après avoir mis tout le pays à feu et à sang, ces hordes albanaises s'y établirent elles-mêmes. Il fallut non-seulement les combattre, mais les exterminer entièrement, pour rétablir l'autorité du sultan sur ce sol ensanglanté.

La Russie étendait, pendant ce temps, son grand système d'envahissement, depuis le mont Caucase et la Géorgie jusque sur les bords du Phase et de la mer Noire. Le gouvernement français, quoique alors républicain, voulut rétablir les anciennes liaisons de la France avec son allié de l'Orient, et le directoire exécutif, dès son installation en l'an 3, envoya à Constantinople le général Aubert Dubayet en qualité d'ambassadeur de la république. Il y reçut le plus honorable accueil , et Selim s'empressa, de son côté, d'envoyer, eu la même qualité , son ambassadeur Méhemet-Ali-Effendi à Paris où il fut traité avec non moins de distinction. La plus parfaite intelligence paraissait régner entre les deux états jusqu'en 1798; mais l'expédition du général en chef Bonaparte en Egypte vint alors troubler cette harmonie. La domination de la Porte en ce pays, dont les beys des mameloucks étaient les véritables maîtres ; se bornait a l'envoi d'un pacha, que ceux-ci tenaient ordinairement renfermé dans le château du Caire, et qui était privé de toute influence au dehors. Les légers tributs que les mameloucks devaient payer au sultan , leur souverain nominal, n'étaient même qu'inexactement acquittés. Le débarquement d'une armée française en Egypte, de quelque prétexte qu'on cherchât d'abord à le colorer, n'en fut pas moins considéré à Constantinople connue équivalent à une déclaration de guerre, et le parti anglais prit dès-lors le dessus dans les conseils de Selim III. Tous les agens français dans le Levant furent arrêtés , et l'ambassadeur turc Méhemed-Ali-Effendi encourut la disgrâce de son souverain pour ne l'avoir pas averti du projet des Français, que ce ministre n'avait cependant pas même soupçonné. Il n'osa de long-temps retourner en son pays, où il eût payé rie sa tête son ignorance involontaire, et continua à végéter à Paris, où le gouvernement fournissait avec parcimonie à son entrelien, jusqu'à ce que le premier consul, après un nouveau rapprochement avec la Sublime-Porte, eut obtenu de Selim la grâce de cet ambassadeur. La guerre que le sultan, cédant à l'influence anglaise, avait été obligé de déclarer à la France après la conquête de l'Egypte, fut presque constamment malheureuse.
Seidman-Mustapha, pacha de Romélie, à la tête de 18000 Turcs, eut ordre d'en chasser les vainqueurs. Débarqués près d'Alexandrie, il venait de s'emparer du fort d'Aboukir lorsqu'il fut attaqué par Bonaparte. Dix mille hommes sont noyés dans la mer, le reste est tué ou pris ; le pacha même est fait prisonnier. Après le départ de Bonaparte, le général Kléber remporta encore à Héliopolis une victoire signalée sur 80000 Turcs commandés par le grand-vizir en personne, qui, après sa défaite, s'enfuit a travers les déserts, à peine accompagné de 5oo hommes. Le traité d'Amiens rendit enfin l'Egypte aux Turcs. Selim se hâta d'y envoyer un gouverneur ; mais l'autorité de la Porte ne tarda pas à être du nouveau méconnue. Les mameloucks se révoltèrent bientôt à l'instigation des Anglais, devenus alors ennemis de la Porte en mars 1807. Une flotte anglaise de 25 vaisseaux, portant 6000 hommes de troupes de débarquement, vint à Alexandrie, dont elle s'empara. Méhémet Ali, le vice-roi actuel, battit, il est vrai, le général Fraiser, força les Anglais d'évacuer Alexandrie , et fit échouer cette expédition ; il détruisit ensuite la puissance des beys, et fit égorger presque tous les mameloucks. Mais ce chef, aussi rusé qu'audacieux, songeait plus à établir son propre pouvoir qu'à vaincre pour le compte d'un maître éloigné, et Méhémet Ali règne encore aujourd'hui en souverain sur l'Egypte, où ni Selim, ni ses successeurs, n'ont osé attaquer sa puissance. Les relations entre la France et la Porte ottomane avaient repris un caractère amical après la conclusion du traité de Presbourg, dont Napoléon s'était empressé de communiquer les articles à Selim III. Mais, peu de temps après, par une de ces révolutions de sérail, si fréquentes dans les fastes du despotisme ottoman, le malheureux Selim fut précipité du trône; les janissaires révoltés avaient d'abord égorgé leur grand-vizir, et ensuite prononcé la déposition du sultan, qui fut relégué dans une étroite prison du sérail même.

Son neveu, Mustapha IV, fut proclamé empereur par cette milice turbulente en mai 1807. On respecta, pondant quelque temps encore, les jours de Selim. Le pacha de Routschouk, depuis grand-vizir , Mustapha Baïrakdar [1775-1808], était resté, quoique en secret, fidèlement attaché au sultan détrôné. Il commandait une armée assez considérable sur les frontières de l'empire; mais, obligé de cacher ses sentimens pour ne point devenir lui-même la victime de la fureur des janissaires, il conclut d'abord une trêve avec le général russe, contre lequel il devait agir, et annonça le projet de combattre les Serviens qui s'étaient soustraits à la domination de la Porte. Sous ce prétexte, il se rapproche d'Andrinople, ou le nouveau grand-vizir du sultan Mustapha lV avait établi son camp. Baïrakdar gagna facilement les troupes de ce ministre peu guerrier, le contraint à marcher avec lui sur Constantinople, feint un grand dévouement pour le sultan Mustapha, mais fait étrangler, par ses agens secrets, les commandans des places du Bosphore, dépose le mufli et l'aga des janissaires, et pénètre enfin, après une faible résistance, dans le sérail même, espérant rétablir son ancien maître sur le trône ; mais le premier objet qui vint frapper les yeux de ce serviteur fidèle fut le cadavre de Sélim, que son neveu avait fait lâchement égorger. Baïrakdar n'eut que la faible consolation de venger sa mort. Tous ceux qui y avaient contribué furent sur-le champ décapités ; Mustapha IV, déposé à son tour, fut jeté dans la même prison où il avait détenu son oncle, et où il ne tarda pas à éprouver le même sort ; Mahmoud (le sultan actuel ) fut proclamé empereur, et Mustapha Baïrakdar devint son premier grand-vizir. Cette nouvelle révolution eut lieu le 28 juillet 1808.

Ainsi périt l'infortuné Selim, un des princes les moins aveuglés par le fanatisme musulman, et des moins barbares qui, depuis long-temps, eussent régné sur l'empire ottoman. Triste jouet d'une soldatesque effrénée, il ne put, malgré ses bonnes qualités, échapper à la destinée commune à tant de monarques de l'Orient, qui, pendant leur vie, plus ou moins agitée, jouissaient cependant, dans toute sa plénitude, de ce pouvoir absolu que tant de princes et de ministres imprudents ambitionnent encore avec ardeur dans des contrées plus occidentales. Les janissaires vaincus, mais non détruits, jurèrent une haine implacable au grand-vizir Mustapha Baïrakdar, et trouvèrent, peu de mois après (en novembre 1808) , l'occasion de l'assouvir. Ils ont, plus d'une fois depuis, menacé le trône et la vie même du sultan Mahmoud, qui, jusqu'ici plus heureux, a pu se dérober à leurs violences, en sacrifiant, il est vrai, toutes ses affections particulières, et en laissant immoler plusieurs de ses meilleurs serviteurs qui déplaisaient à ces factieux prétoriens.

extrait de Arnault, Biographie nouvelle des contemporains, 1825

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