IX Les ruines d'Aizani. Les paysans de l'Anatolie. Les monts Dindymènes et le Temnus. Ghédiz [Gediz]. Ouschak [Uşak]. L'industrie des tapis. Takmak. Koula. La Phrygie brûlée. Les Zeibeks. Le fleuve Hermus. Salikli [Sağlıklı].

Bien qu'Aizani soit une ville ancienne, fondée, dit un historien, par Aizen, fils de Tantale, elle ne joue aucun rôle important dans l'histoire, mais l'état de conservation et l'aspect imposant de ses monuments méritent de fixer l'attention des voyageurs. Ces ruines, connues en Europe depuis quarante ans seulement, ont été plusieurs fois décrites je n'entrerai, pour ma part, dans aucun détail. Le lecteur a sous les yeux une reproduction fidèle des plus intéressants d'entre les édifices qui se voient encore à Aizani: le théâtre, le stade, le pont, les quais du Rhyndacus, et, par-dessus tout, le temple de Jupiter, gracieux spécimen du style ionique, dont l'ordonnance parfaite semble témoigner d'une origine antérieure à la domination romaine.
Les inscriptions latines et grecques, contemporaines de l'empereur Adrien, qui sont gravées sur ses murs, y ont pris place bien probablement longtemps après sa construction.

Les collines, autour d'Aizani, sont formées de roches calcaires qui ont fourni de beaux matériaux aux monuments de la ville. Le fond de la vallée est un terrain d'alluvion dont les habitants du village paraissent tirer un assez bon parti. Leur physionomie et leur mise donnent en effet lieu de supposer qu'ils jouissent d'un certain bien-être. Il est à remarquer, et c'est un phénomène curieux, que si, dans l'Anatolie, l'aspect général du pays indique un état de décadence et révèle l'absence presque complète des conditions économiques sous l'influence desquelles un peuple peut s'enrichir et prospérer, les particuliers, cependant, et spécialement les habitants de la campagne, ne semblent pas réduits à un état trop misérable. Il nous est rarement arrivé de rencontrer des mendiants. Dans les villages où nous faisions halte, nous trouvions des vivres de bonne qualité qu'on nous offrait souvent avec un empressement touchant ; et, si la plupart des maisons présentent une assez chétive apparence, les paysans sont, en général, bien vêtus. L'ampleur de leurs costumes, la variété des couleurs, la forme imposante des turbans qui couronnent leurs mâles visages, la gravité habituelle de leur maintien, communiquent à toute leur personne un caractère de dignité vraiment remarquable. Trois causes peuvent expliquer cette aisance relative qu'on observe chez les habitants de l'Anatolie : le pays est vaste et naturellement fertile, la population clairsemée 1, ses besoins et ses exigences très-limités. Ces circonstances, sans favoriser le développement de la fortune publique et les progrès de la civilisation, assurent aux individus des moyens suffisants d'existence. La plupart des peuples primitifs en sont là, et nos pères, au moyen âge, semblent avoir traversé une phase à peu près semblable.

Aussi, au retour d'un voyage dans l'intérieur de l'Anatolie, on peut se figurer assez clairement l'aspect qu'a dû présenter notre Europe il y a cinq cents ans ; ce qu'y était la culture des campagnes, la police des villes, l'état des voies de communication ; comment on y voyageait, comment s'y faisait le commerce, de quelle sécurité on s'y voyait assuré ; quelle devait y être la nature des relations sociales ; dans quelles limites, en un mot, on y pouvait user de ses facultés.

[Physionomie morale des Turcs]

Quant à la physionomie morale, malgré d'énormes différences dérivant du génie et des institutions si dissemblables de l'Orient et de l'Occident, différences qui sont tout à l'avantage du moyen âge chrétien, il est encore facile de saisir quelques analogies. Les Turcs, pris en masse, possèdent la foi sous ses diverses formes, et cette sérénité d'âme cette force de résignation, cette quiétude qui en découlent. La disposition religieuse de leur esprit se traduit au dehors, non-seulement par l'exactitude qu'ils apportent aux exercices de la prière, soit dans les mosquées, soit chez eux et jusqu'au milieu des champs où souvent on les trouve prosternés, mais aussi par des sentiments de respect et de confiance envers la divinité, dont leur langage porte la perpétuelle empreinte : Inch Allah (plaise à Dieu), Allah Kerim (Dieu est miséricordieux). Il n'y a pas une de leurs phrases où ne se rencontrent ces locutions. Ils vivent de peu et sont facilement heureux contempler la belle nature, rêver en fumant leur tchibouk, humer quelques gouttes de café, de tous les plaisirs voilà ceux qu'ils apprécient le plus.
Ils ne connaissent guère le luxe ; mais, dans la disposition de leurs maisons, dans la forme du petit nombre d'ustensiles qui chez eux composent un mobilier, dans leur costume surtout, et dans l'ensemble de leurs habitudes, il y a un sentiment de l'art et une poésie naturelle presque inconnus aujourd'hui parmi nous.
Leur charité envers les malheureux, leur hospitalité, leur fidélité à remplir leurs engagements sont proverbiales.
J'en dirai autant de cette dignité, de ce respect de soi-même et des autres qui constituent peut-être le cachet le plus vraiment personnel de la race turque. Même parmi les gens du bas peuple, la colère se traduit rarement en rixes, en disputes, en injures. Kouzoum (kuzum, mon agneau), djanem (canim, mon âme), telles sont les épithètes dont ils se gratifient entre eux.
Toute règle, cependant, comporte des exceptions à côté de ces expressions amicales, quelques locutions grossières prennent place dans leur vocabulaire ils les échangent parfois sans paraître se départir de leur immuable gravité ; et, sous prétexte que l'anathème prononcé par le prophète contre le vin ne saurait atteindre le raki [NOTE : eau-de-vie de grains], ils laissent chaque jour davantage la triste habitude de l'ivrognerie pénétrer chez eux.
Ajoutons que ces populations, fort étrangères encore à l'esprit révolutionnaire qui travaille l'Europe, sont en général douces et faciles à gouverner ; bien administré, le pays subirait assez promptement une heureuse transformation.

Mais il est temps de revenir aux habitants d'Aizani. Ils pétrissent leur farine en lames minces, qu'ils font cuire sur des plaques de tôle rougie ; ils obtiennent ainsi des pains semblables en apparence à nos crêpes, mais d'une dimension de près d'un mètre carré ; dans un pays où les assiettes ne sont pas connues, où le linge de table est rare, ces pains-serviettes sont d'un usage fort commode. On a aussi, dans cette partie de l'ancienne Phrygie, l'habitude de manger le blé en grain, comme le riz. Devant chaque maison est un mortier de pierre grossièrement taillée, où on l'écrase à demi avant de le faire cuire.

 NOTE
Parmi les causes qui contribuent à entraver l'accroissement de la population, il faut placer les charges du service militaire. La conscription existe en Turquie. A défaut de registres de l'État civil (que du reste on paraît songer à établir en ce moment), le mudir de la casa, assisté de son medjlis, désigne les jeunes gens qui semblent arrivés à l'âge où on peut porter les armes. On les fait tirer au sort ; mais ceux pour qui la fortune se montre propice ne sont point affranchis à tout jamais du service ; cinq ans de suite ils doivent se présenter et courir les chances d'un nouveau tirage. A vingt-cinq ans seulement, si le sort les a favorisés cinq fois, ils peuvent enfin jouir de quelque sécurité.
La durée de la présence sous les drapeaux a été fixée à cinq ans ; il n'est pas rare cependant qu'une décision de l'autorité la prolonge arbitrairement ; le soldat reçoit enfin son congé ; mais il est inscrit sur les contrôles d'un bataillon de rédifs (réserve), où il demeure à la disposition de l'État jusque vers l'âge de cinquante-cinq ans. Ces bataillons sont composés des hommes du même district, qui restent ainsi habituellement dans leurs foyers ; toutefois ils sont essentiellement mobiles et peuvent, si les circonstances l'exigent, être envoyés aux extrémités de l'empire.
Une pareille organisation est évidemment la cause principale de la décadence de l'agriculture en Turquie et du dépérissement de la race dominante. Tant qu'elle n'aura pas été modifiée, il ne faudra pas regretter pour les rayas que la méfiance des Osmanlis continue à les écarter de l'armée en leur imposant un rachat forcé et du reste peu onéreux.
On vient d'admettre un certain nombre de jeunes chrétiens dans l'école militaire ouverte depuis quelques années à Constantinople. Il y a là, sans doute, le symptôme d'une transformation prochaine.


Le 12, à deux heures, nous reprenons notre chemin.
Après une série de collines de formation calcaire, vient un plateau sillonné de profonds ravins dont les déchirures laissent voir des terrains où dominent l'argile, le grès marneux, le tuf volcanique. Ce plateau sert de trait d'union entre les grandes chaînes des monts Dindymènes [NOTE : 1. Ces montagnes étaient célèbres dans l'antiquité à cause du culte qu'y recevait Cybèle ; celle-ci est appelée souvent par les poètes la déesse Dindymène.] et du Temnus. Elles partent toutes deux de ce point pour se prolonger sur un même plan, l'une dans la direction de la Cappadoce, l'autre dans la direction de la mer Égée, divisant l'Asie Mineure en deux versants inclinés, au nord vers le Pont-Euxin et la Propontide, au midi et à l'ouest vers la Méditerranée. Nous pouvons apercevoir en ce moment les sources du Rhyndacus et de l'Hermus, dont les eaux, sorties de la même montagne, prennent leur cours vers des mers différentes. Le soleil se couche derrière l'Ak-Dagh vue magnifique.
A nos pieds, vers le sud, s'ouvre une étroite vallée entre des masses volcaniques ; là coule l'Hermus (Ghédiz-Tchaï), là est assise la ville de Ghédiz (l'ancienne Cadi), dont les quinze cents maisons s'étagent sur les anfractuosités du rocher calciné.

[Gediz]

Nous y pénétrons à la nuit, et la peinture que j'ai faite plus haut des périls d'une entrée nocturne dans les villes turques, donnera une faible idée des difficultés qu'il nous fallut braver pour descendre et remonter les deux pentes opposées de cette gorge, avec des chevaux épuisés, et par des ruelles dont aucun réaliste ne saurait faire une trop horrible peinture.
Du reste, beau konak, éminemment pittoresque ; medjlis nombreux, composés d'hommes superbes par l'ampleur de leurs costumes et la dignité de leur maintien, excellent accueil.
Le 13 au matin, je prends à la hâte une vue de Ghédiz, et nous partons un peu avant neuf heures avec des chevaux de poste. La vallée de l'Hermus est bien cultivée, mais nous la traversons seulement, et nous nous engageons aussitôt dans une région montueuse et boisée ; son aspect nous rappelle celui des versants de l'Olympe. Parfois, entre les arbres et les rochers, s'ouvrent des perspectives d'une grande beauté. Nous passons au bord d'un précipice d'où s'élèvent des tourbillons de flammes et de fumée : "Ce n'est rien, nous disent nos guides, c'est une forêt qui brûle."

ILL. Ouschak [Uşak] - Entrée de la ville du côté des cimetières


Le mudir d'Ouschak, prévenu de notre arrivée par un zaptié, vient au-devant de nous avec ses serviteurs, à une demi-heure de la ville, et se montre plein de courtoisie. Il nous conduit chez le Tchorbadgi grec, négociant très-intelligent, qui nous traite de la façon la plus hospitalière.

[Uşak]

Ouschak a une véritable importance commerciale ; c'est un point intermédiaire entre la mer et les cantons agricoles de la Phrygie, et le territoire fertile qui entoure la ville fournit lui-même des produits variés aussi de nombreux convois de chameaux partent chaque semaine pour porter à Smyrne des grains, du tabac, de l'opium de la valonnée.
Ouschak possède en outre une industrie intéressante ; on y fabrique ces beaux tapis de moquette connus sous le nom de tapis de Smyrne. Huit cents métiers occupent chacun trois ouvrières qui travaillent à la main dans leurs maisons. La population s'élève à quinze mille âmes au moins dont les chrétiens forment le tiers ; l'industrie et le commerce sont pour ainsi dire exclusivement dans leurs mains ; je fus frappé des bons rapports et. de la familiarité qui semblaient régner entre le mudir et les principaux d'entre eux.
La poste ne fait le transport des lettres entre Ouschak et Smyrne qu'une fois la semaine, le trajet est de plusieurs journées, et l'on sait qu'en Turquie les lettres ne sont jamais distribuées à domicile ; on doit se rendre au bureau pour y réclamer soi-même les dépêches que l'on attend ; celles qui ont été expédiées à l'insu des destinataires courent grand risque de ne leur parvenir jamais. Ouschak semble occuper l'emplacement de l'ancienne Acmonia, mais cela n'est pas bien prouvé quoi qu'il en soit, on y rencontre beaucoup de marbres sculptés, paraissant provenir de tombeaux, et qui maintenant ornent les fontaines.

ILL. Ouschak [Uşak](ancienne Eucarpia) - Maison construite avec des débris de monuments funéraires antiques.


On en trouvera ici un spécimen. J'eus grand'peine à prendre cette photographie au milieu d'une population curieuse, mais docile heureusement, et que les zaptiés purent contenir un instant. Le 14, après être restés à Ouschak une partie du jour, nous partons vers midi accompagnés de deux négociants grecs qui ont demandé à voyager de concert avec nous jusqu'à Smyrne. Nous allons coucher à Takmak, pauvre village de trente maisons, situé à l'extrémité d'un très-haut plateau dont la surface ondulée est couverte de sable, de galets, de blocs trachytiques. On dirait le fond d'une ancienne mer. Les seuls habitants de ces solitudes sont quelques yourouks [yörükler] campés au milieu de leurs troupeaux. Belle vue au soleil couchant, sur toute la partie occidentale de l'Asie Mineure, jusqu'à l'Ida.
Nos chevaux ont marché bon train, mais la distance d'Ouschak à Takmak est de douze heures, d'après le tarif de la poste ; il fait nuit depuis longtemps quand nous arrivons au konak, chez un mudir hypocondre qui parle peu et seulement pour se plaindre. Sa fille, gentille enfant de onze ans, vient familièrement s'asseoir près de nous et nous questionner ; dans quelques mois sans doute sa mère, un beau matin, dira qu'il est temps de la voiler ; elle devra échanger alors et pour toujours sa liberté d'aujourd'hui contre la vie claustrale du harem.
Le 15 nous partons à huit heures du matin. Nous descendons à travers un labyrinthe de rochers formés de gneiss, auquel succèdent, en approchant de Koula, tous les éléments qui constituent les terrains volcaniques. Koula est en effet le centre de cette partie de la Phrygie que les anciens appelaient Phrygie brûlée (Katakékauménè) elle est bâtie au pied même du Kara-Dévelit (l'encrier noir), grand volcan éteint aujourd'hui, mais dont le cratère a dû, vers l'origine des temps historiques, donner 1 pose de matières volcaniques ; le plateau supérieur et passage aux longues traînées de laves et de scories qui sillonnent le territoire de Koula. Elles serrent de près la ville elle-même, comme une mer agitée dont les vagues se seraient durcies subitement.

[Kula]

Koula, un peu moins peuplée qu'Ouschak, est néanmoins une ville industrieuse et commerçante, où le mudir se montre fort hospitalier envers nous.
16 octobre. Départ à sept heures et demie. Nous traversons la chaîne de montagnes, en forme de promontoire, qui sépare la vallée de l'Hermus de celle du Kousou-Tchaï. Dans celle-ci est située Alachehr (l'ancienne Philadelphia), plus remarquable par ses souvenirs religieux que par ses monuments.
L'aspect de ces montagnes est des plus sévères ; il nous rappelle du reste ce que nous avons vu la veille entre Takmak et Koula ; peu de végétation, des rochers entassés au hasard. Le versant, du côté de Roula, se compose de matières volcaniques ; le plateau supérieur et le versant méridional sont de formation primitive ; le gneiss y domine, avec des veines de quartz çà et là.

ILL. Ruines de Sarde - Débris de murailles au bord du Pactole (voy. p. 265).


Aucun lieu ne semblerait mieux choisi pour servir de théâtre à quelque sinistre aventure ; aussi nos compagnons retrouvent les souvenirs de leurs plus mauvais jours et nous racontent les inquiétudes continuelles auxquelles ils sont exposés dans un pays où la moindre opération commerciale exige un transport de numéraire. Mille embûches les entourent, ils doivent toujours être préparés à se défendre eux-mêmes, s'associer, pour voyager en nombre respectable, ou recourir à la ruse prendre ostensiblement une direction puis en changer rapidement, se mettre en route le dimanche après avoir annoncé qu'ils partiraient le mardi. Mais le meilleur moyen de pourvoir à leur sécurité est d'entretenir des intelligences avec l'ennemi, et de capituler au besoin. Les Turcs, même les brigands, se piquent d'être fidèles à la parole donnée ; il s'agit donc seulement de s'entendre ; quand on est tombé d'accord et qu'une espèce de contrat d'assurance a été conclu, le négociant peut marcher sur la foi des traités ; ceux qui s'engagent à le respecter deviendraient même au besoin ses alliés si quelques intrus tentaient de l'inquiéter.

Le plus habile entremetteur dans ces sortes d'arrangements n'est pas loin de nous. En effet, vers onze heures, nous arrivons à une baraque perdue au milieu de cette solitude et décorée du nom de café. Nos compagnons sautent de cheval et les téménas les plus cordiaux sont échangés entre eux et un grand gaillard membré solidement, au regard patelin, bien vêtu, bien armé! Ils nous présentent leur ami et nous disent à l'oreille qu'i: faut lui payer largement la tasse de café qu'il va nous offrir « C'a été, ajoutent-ils, un fier brigand, mais maintenant il est devenu honnête homme et nous rend de grands services Nous tâchons de nous conformer à leurs bons avis. L'amphitryon prend notre argent sans le regarder, comme par distraction et tout en continuant à causer avec ses amis on voit que c'est un personnage. Mais un peu plus loin, dans les montagnes du Tmolus au pied desquelles nous allons être ce soir, habitent des hommes dont on ne prononce le nom, d'Aïdin à Koula, et jusqu'à Smyrne, qu'avec un sentiment de crainte, les Zeibeks [NOTE : ce mot veut dire indépendant].

[Les zeybeks]

Ils se rattachaient sans doute originairement à quelque tribu qui aura longtemps conservé son indépendance aujourd'hui on voit parmi eux des individus de races diverses, même des nègres ; ils forment une espèce de confrérie à laquelle sont affiliés les réfractaires et, en général, toutes les mauvaises têtes du pays. Ils s'arrogent des privilèges, entre autres celui de vivre aux dépens du public et de rançonner qui bon leur semble, quand ils ne trouvent pas à s'employer d'une manière conforme à leurs goûts.
Du reste ils font preuve d'une certaine modération, et ne volent pas pour s'enrichir ; le pain du jour leur suffit.

ILL. Sardes - Vue des ruines du théâtre et du rocher qui portait l'Acropole (voy. p. 265).


Ils vous entourent, ils vous arrêtent ; donnez-leur une pièce d'or, des vivres, du tabac, et le plus souvent ils seront contents parfois cependant leur mauvaise humeur est redoutable. Ils croient si bien avoir le droit de mener un pareil genre de vie, que, loin de se cacher, ils tiennent à être reconnus, et veulent, grâce à leur costume, être assurés des égards qui leur sont dus. Ce costume, le plus excentrique de tous ceux qu'on rencontre en Orient, je ne le décrirai pas ; une des planches de ce recueil le reproduit fidèlement.
Il y a trente ans environ, un pacha voulant en finir avec les Zeibeks, proscrivit leur costume et interdit de le porter sous des peines sévères. Il mit des troupes régulières en campagne, des collisions eurent lieu, le sang coula, mais l'obstination des Zeibeks ne put être vaincue. En 1861, on s'y est pris autrement. Le sultan faisait la guerre aux Monténégrins ; le pacha de Smyrne envoya dans le Tmolus des recruteurs chargés de payer une forte prime d'engagement à ceux des Zeibeks qui voudraient partir pour le Monténégro ; on leur faisait valoir les chances de butin qu'offrait une expédition contre d'aussi faibles ennemis. Trois mille d'entre eux vinrent à Smyrne. Les bateaux à vapeur qui devaient les transporter manquaient de charbon. Pendant trois jours que les Zeibeks restèrent dans la ville, elle ressembla à une place prise d'assaut. Mais l'un d'eux ayant eu la simplicité de s'attaquer à un Anglais, peut-être même à une Anglaise, les consuls intervinrent, et le soir même les Zeibeks furent embarqués. Au Monténégro, on leur a confié les postes d'honneur ; peu d'entre ces braves ont revu le Tmolus ; mais ils y avaient laissé des compagnons en nombre suffisant, et la race n'en est point perdue.

Dans la plupart des contrées de l'Anatolie on rencontre à chaque pas des fontaines construites par de pieux musulmans, pour le soulagement des voyageurs. Sur le plateau où nous marchons aujourd'hui les sources font défaut, et nous trouvons, pour y suppléer, de grosses jarres pleines d'eau fraîche déposées sous des abris de feuillage ; de bonnes âmes, gratuitement, et poussées seulement par un zèle charitable, les ont placées là et se chargent de les alimenter.
Vers trois heures, la chaîne imposante du Tmolus apparaît en face de nous ; nous descendons dans une large vallée que nous suivons pendant quatre heures ; nous passons à gué le Rousou-tchaï, au bord duquel affluent les troupeaux des Yourouks, qui viennent s'y désaltérer. A la nuit close, enfin, nous prenons gîte dans le konak du petit village de Salikli, dont un mudir pauvre et valétudinaire nous fait de son mieux les honneurs.

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